Aller au contenu

Page:Metzger - La philosophie de la matière chez Lavoisier, 1935.djvu/44

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
42
LA PHILOSOPHIE DE LA MATIÈRE

Et sans doute Lavoisier le sait, la chaleur n’est peut-être pas due à l’action d’un élément ; les cartésiens ont pu admettre, et Laplace le pense aujourd’hui, qu’elle résulte d’un mode de mouvement ; Lavoisier n’a pas d’argument à opposer à Laplace, bien que la pensée de Laplace heurte une de ses idées fondamentales ; il se refuse à toute discussion et propose simplement de parler du calorique comme si la chaleur était corps ; bien qu’en fait, elle ne soit peut-être pas corps, qu’on puisse la considérer comme une « cause répulsive quelconque qui écarte les molécules de la matière » et s’oppose ainsi à leur attraction spontanée.

Que cette concession à la possibilité d’une théorie mécanique de la chaleur ne soit qu’apparente et de pure forme, qu’elle ne soit faite pourrait-on dire que du bout de la plume, c’est ce qui ressort nettement de l’ensemble de l’œuvre de Lavoisier ; car il est à noter que si le grand chimiste ne combat aucunement directement l’imagination corpusculaire, soit cartésienne, soit Newtonienne, s’il utilise au besoin cette imagination pour donner un tableau des réactions matérielles où le calorique intervient, il laisse cette imagination s’exercer dans le vague ; il ne raffine pas sur elle, et ne se soucie d’aucun des problèmes mathématiques ou mécaniques concernant la chaleur, posés par les partisans de l’atomisme rigide.

Répétons-le ; bien que nous soyons ici sur la « zone intermédiaire » trouble et glissante où nous ne devons avancer qu’avec prudence —, et où les concepts à l’état dynamique réagissent les uns sur les autres sans aucun scrupule métaphysique pour élaborer la science —, l’hypothèse de la structure discontinue de la matière qui est si nette chez Lavoisier lui est cependant indifférente, de même aussi que le mécanisme de la marche effective de la réaction matérielle ; les premiers chapitres du Traité élémentaire de Chimie qui suivant la mode du temps sont consacrés à l’analyse de l’air et à des vues générales sur la formation et la constitution de l’atmosphère de la terre ne servent que d’introduction, de préface, de cadre cosmologique à la théorie chimique. Préface nécessaire pour sortir le lecteur du monde du sens commun, mais qui par rapport à la science Condillacienne et malgré les expériences qui illustrent la pensée de l’auteur fait quand même l’effet d’un hors-d’œuvre.

Pour justifier ce qui précède, il nous faut parler de la lumière dont Lavoisier n’a que faire, que Higgins et Sennebier pourtant en prolongeant l’optique Newtonienne considéraient alors comme un