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ii. — histoire de charles martel

et moult maudist fortune, disant (fol. .iijc. .iiijxx. xviij) qu’elle luy est trop contraire a tout, et pense aux Frisons quy luy veulent desobeïr et aux Sarrazins quy en la chrestienté sont descendus tant tost et si mal a point. Puis regrette ses hommes qu’il a perdus a mener guerre au duc Gerard de Roncillon, mais au fort il se reconfortoit sur le noble duc, disant que moult estoit vaillant en armes, puissant d’avoir et d’amis et fort enlinagié, et que il est certain qu’il ne luy fauldra mie a ce besoing. Adont il assamble ses hommes, et tant en a mandé ça et la pour les avoir plus legierement, qu’en peu de temps il luy en vint bien quarante mil, mais pas ne se tint a tant, ainchois semondi le gentil duc Gerard de Roncillon et luy rescript comment il va sur les Sarrazins delivrer ses paijs meïsmes, et que il vueille hastivement chevauchier après luy. Et lors s’en part le roy et tant exploitte que il approche ses ennemis ; et le bon duc, quant il entend ce que le roy luy mande, il fait dilligence double, car desja avoit eu nouvelles des Sarrazins, dont le roy estoit adverty, et a tout son ost s’en va après Charles Martel, lequel, incontinent qu’il arriva sur les Sarrazins, atout tel pouoir comme il avoit, se fery parmy eulx. Mais trop eust son honneur esté petitement gardé, n’eust esté le duc Gerard, lequel si a point luy vint, pour faire l’istoire briefve, que Segurans roy de Fulie[1] fut par luy desconfy. Et la fut la terrible batalle gaigniée contre les paiens et Sarrazins ennemis de nostre sainte foy, lesquelz au commencement de l’estour avoient esté fiers et orgueilleux a l’encontre de Charles Martel.

(vo) Quant la bataille fut desconfite et le gaaing et butin assamble, l’en le presenta au roy Charles Martel de par Gerard duc de Roncillon, mais il n’en voulu riens prendre, ainchois remercia le duc du bon secours qu’il luy avoit fait, et la fut la paix d’eulx deux si trés bien confermée que elle dura depuis bien soixante mois tous plains. Et après ceste bataille ainsi terminée et achiefvée, le roy Charles Martel poursieuvy tousjours avant, et livra plusieurs autres batailles contre les Sarrazins, dont il vint honnorablement a son dessus, a l’ayde du duc Gerard. Et quant celle guerre eust pris fin et que les Sarrazins fu-

  1. Sic, pour Sulie, Syrie ; cf. la chanson, § 195.