Page:Meyer - Girart de Roussillon, 1884.djvu/231

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
ccxiii
ii. — histoire de charles martel

quant il eust entendu le saint preudhomme hermite quy ainsi le cuidoit chastoier, et quy tel conseil luy donnoit ; il le prinst lors ci a maudire moult asprement, disant que avant il devendroit deable d’enfer. A tant il se leva de devant luy et s’en retourna devers la duchesse et luy dist : « Ma compaigne, partons nous hastivement d’icy, car se plus me y faittes demourer je sçay de vray que j’osteray la vie a cest hermite. » Mais j’ay leu en ung autre livre rymé de grant anchienneté que le saint homme le remist en la bonne voye et le retourna a repentance[1] ; ne sçay mie bien lequel croire. Car tant estoit le duc Gerard fier et criminel que nul plus. Au fort, sans plus mot sonner, luy, la dame et la demoiselle se misrent au chemin comme ung homme désolé et quy n’est mie en son bon sens naturel ; et ainsi la noble dame le sieuvy, laquelle oncques pour peine, pour meschief ne pour traveil que elle eust a souffrir ne luy aussi ne le voulu laissier, mais en elle meismes demena ung deuil merveilleux, disant en detordant ses bras, en esgratinant sa belle face, en esrachant ses cheveulx et soy cruciffiant par ung inestimable dueil : « Ha, a ! lasse, moy dolante, que fist mon pere Othon quant a ung si merveilleux chevallier me donna par mariage. Certainement trop (vo) mieulx ne venist avoir estée en ung puis jettée ou en la mer, quant a luy fus par nom de mariage assignée ! »


Elle essaie en vain de ramener son époux à des sentiments moins farouches : celui-ci declare que, dût-il donner son âme « a Sathan, a Bulgibus ou a Lucifer », il se vengera du roi. Chemin faisant, ils rencontrèrent des marchands venant de Honguerie.


[521] (fol. iiijc lxvj) Lors la noble princesse leurs prinst a demander des nouvelles de Honguerie, et ilz dirent que le roy Othon estoit alé de vie par mort, et que desja le roy Charles Martel avoit en sa main tout le royaulme, car il y avoit envoié gens tous propices quy avoient de par luy prins la possession et

  1. Cf. le poème § 520, et ci dessus p. clxv.