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girart de roussillon

l’acheter. La nuit, il les fait servir à leur volonté, et le jour siéger au palais avec lui. Ils commencent à parler de leur mission ; lui, cependant, leur fait voir ses jeux étranges. Par son ordre, ses magiciens excitent la pluie et la tempête et font apparaître des signes éclatants[1]. Et quand il les a remplis de terreur, il leur présente par artifice d’autres merveilles, des tours ingénieux et plaisants à voir ; si bien qu’ils s’y oublièrent jusqu’au lendemain soir. Mais c’étaient de grands et sages personnages, qui ne voulurent point se laisser amuser plus longtemps ; et lorsque l’empereur vit qu’il ne les pouvait retenir davantage, il fit bonnement à leur volonté.

16. Tandis qu’il les recrée de la sorte, honorant par dessus tous le duc Girart, le roi fait conduire à l’ost un si grand convoi qu’on ne pourrait sans ennui en conter ou entendre le détail. Il leur fit donner des besants, de l’or cuit, des étoffes de soie et des pailes[2] neufs en telle abondance que

    Archimbaut, avait rassemblé à Bourbon, à l’occasion d’une fête, tant d’épices qu’il en put faire brûler un plein chaudron à chacun des carrefours de la ville.

  1. Ç’a été au moyen âge et depuis les derniers temps de l’antiquité, une superstition très-répandue que de croire à la possibilité d’exciter des tempêtes par des artifices empruntés à la magie. On appelait ceux à qui on attribuait ce pouvoir : tempestarii, immissores tempestatum. voy. Du Cange au mot tempestarii. Les merveilles dont il est question paraissent être un souvenir de ces jeux de l’Hippodrome de Constantinople sur lesquels on a des témoignages qui se rapprochent des faits indiqués dans ce passage de Girart de Roussillon. Voy. Torfæus, Historiæ rerum Norvegicarum, iii, 468 (Hafniæ, 1711) et surtout P. Riant, Expéditions et pélerinages des Scandinaves en Terre Sainte, p. 199-200. — Des récits analogues se rencontrent ailleurs. Ainsi, dans les Enfances Guillaume, autrement dit le Département des Enfants Aimeri, Orable, fiancée contre son gré au sarrazin Tiébaut, profite du banquet de noces pour bafouer son époux par ce qu’elle appelle « les jeux d’Orange. » Il y a là une scène d’enchantements qui n’est pas sans analogie avec les jeux des nécromanciens de l’empereur bysantin. Voy. Guillaume d’Orange, chansons de geste publ. p. Jonckbloet, II, 18.
  2. Le paile est une étoffe de soie.