leur chevalier, nul meilleur vassal ne brisa sa lance. Il avait le corps élancé, délié et vif. Il dira une parole dont le roi s’irritera : « Par Dieu ! Charles Martel, c’est mal à toi de jeter le trouble par tout le monde. Mais je crois que Girart t’abaissera par les armes à tout jamais, et moi, que je sois un lâche[1] si je ne te le fais payer ! Je conduirai mille chevaliers, tous vaillants guerriers, et je te pousserai de telle façon jusqu’à Aix, qu’il n’y aura si fort château que je n’assaille. De tes domaines, je compte bien engraisser les miens. » Le roi l’entend, le sang lui monte au visage. Il les ferait tous pendre, quand Evroïn, le seigneur de Cambrai, prit la parole avec Enguerran, Thierri et Pons de Clais : « Roi, tu es mort, si en ta cour tu fais félonie : si tu te charges d’une telle lâcheté, tu n’as si riche baron qui dès lors ne t’abandonne ! »
124. Evroïn de Cambrai prend la parole. Il donnerait bon conseil, le comte palatin, si on voulait l’en croire. « Messager, vous n’êtes pas fin devin dans les affaires de la guerre. Quand deux seigneurs souverains sont voisins, l’un comte, l’autre roi, ils sont plus âpres à la guerre que des chiens à la poursuite du sanglier. Si nous unissions nos forces pour faire la guerre aux Sarrazins, je crois qu’on en aurait bientôt fini avec eux[2]. »
125. En l’entendant, Charles se renfrogna, « Voici, » dit-il, « que don Evroïn nous a fait un sermon comme le vieux prédicateur de Saint-Denis, qui prêche son peuple et le convertit ; mais nous ne quitterons pas le vair ni le gris, les blancs hauberts ni les heaumes brunis, jusqu’à tant
- ↑ Mot à mot « un renard (vulpis). Traiter quelqu’un de gourpil, c’était lui faire la plus grave injure. Voy. Du Cange au mot vulpecula.
- ↑ La même pensée faisait dire à Peire Vidal : « C’est mal aux quatre rois d’Espagne de ne vouloir pas avoir paix entre eux... Si seulement ils voulaient tourner leur guerre contre la gent qui n’a pas notre croyance, jusqu’à tant que l’Espagne fût toute entière d’une même foi ! » (Plus quel paubres.)