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girart de roussillon

eut grand fracas. Vous auriez vu trouer les écus, les pans des hauberts, les côtés, les flancs, les poitrines. Les lances brisées, on tire les épées avec lesquelles on fend les heaumes flamboyants. Le sang et la cervelle se répandent à terre. Il y en a tant d’abattus à la renverse ou sur le côté, que vingt mille chevaux de prix vont sans cavaliers, traînant leurs rênes entre leurs pieds. Il n’y a là personne pour les prendre ou les demander. Charles voit que son avant-garde diminue, Girart que la sienne subit de fortes pertes. Ils ont, l’un et l’autre, tant perdu qu’ils n’ont pas lieu de se vanter.

147. Charles a douze échelles[1] et Girart dix, chacune de vingt mille combattants ; ceux qui sont légèrement armés vont les premiers, comme vous savez. Hoël[2], à la tête des Bretons, forme son échelle auprès d’un fossé. Du côté de Girart sont les Gascons. Senebrun, de Bordeaux, vassal choisi, leur crie : « Gascons, chargez ! C’est pour votre seigneur que vous combattez : vous serez sauvés si vous y restez[3]. » Et Hoël dit aux siens : « Frappez ! ce sera lâcheté si vous êtes repoussés ; » et ils répondent : « Vous dites bien. » Les Bretons crient Malo ! les Gascons Biez[4] ! À l’abaisser des lances tous se taisent : ils se frap-

  1. Corps de troupes formé en bataille.
  2. Hoël de Nantes figure dans le Pseudo-Turpin, dans Ogier (v. 5934, 6509, etc.), dans Gaidon, v. 1237, etc.). Il y a au xe siècle un comte de Nantes ainsi appelé, et au xie un duc de Bretagne.
  3. C’est l’extension de l’idée régnante au moyen âge que les croisés mourant pour le service de Dieu étaient infailliblement sauvés.
  4. Breton crident Maslou Oxf. (crido en aut P. est la correction d’un copiste qui ne comprenait pas). Ce cri des Bretons est mentionné dans la dissertation de Du Cange sur le Cri d’armes (Du Cange Henschel, t. VII, Dissertations, p. 51 a). C’est Saint-Malo, cf. Ogier, v. 12694 :

    Et Saint-Malo (escrie) hautement Salemons.

    Et dans Aspremont (ms. Barrois, Ashburnham Place, fol, 129 v°) :

    La ont Breton lor enseigne escriée :
    C’est S. Merloz de Bretaigne la lée.

    Cf. encore Rou, 7845 (où Pluquet a imprimé Maslon au lieu de Mas-