lieu pendant les plus longs jours de mai, et dura jusqu’au coucher du soleil. Voici Thierri remonté sur son cheval noir ; il va frapper Odilon avec une telle force, qu’il lui perce l’écu et la cuirasse[1]. Le fer [de la cuirasse] ne peut résister à l’acier, et le bois de la lance ressortit de l’autre côté. Jeté à bas de son cheval noir, Odilon ne vécut que cinq jours. Les siens piquent des deux pour l’aller secourir, mais par la volonté de Dieu un orage éclata, fort, fier, horrible et redoutable. Charles vit son enseigne brûler et Girart la sienne tomber en charbon. À la vue de ces signes que Dieu leur manifeste, ils arrêtent le combat.
169. La nuit est venue, le jour est fini, le ciel est sombre et rembruni. Dieu leur montra un miracle qui fut un avertissement[2]. Des flammes descendirent du ciel entr’ouvert : le gonfanon de Girart en fut tout brûlé, et aussi celui de Charles qui était orné d’or[3]. La chair tremblait aux plus hardis et la terre s’agitait sous leurs pieds. « C’est la fin du monde ! » se disait-on l’un à l’autre. Le comte Girart fut saisi de frayeur, et Charles, au milieu des siens, était tout troublé. Les deux armées se séparent, et dès lors il ne fut plus question de se battre. Toute la nuit on resta [de part et d’autre] le haubert vêtu. Quand le jour parut, au contentement de tous,
- ↑ Le texte (el cuir d’azer) n’est pas très clair, azer ne peut ici signifier « acier » ; il s’agit sans doute d’une broigne, cuirasse en cuir, revêtue d’écaillés de fer imbriquées.
- ↑ Ici commence le ms. de Londres (L.).
- ↑ Cette description, où on peut reconnaître les effets exagérés du
phénomène connu sous le nom de feu Saint-Elme, fait penser au
songe de Charlemagne, dans Rolant, vv., 2532 et suiv. :
Carles guardat amunt envers le ciel,
Veit les tuneires e les venz e les giels,
E les orez, les merveillus tempiers,
E fous e flambe i est apareilliez,
Isnelement sur tute sa gent chiet,
Ardent ces hanstes de fraisne et de pumier,
E cil escut jesqu’as bucles d’ormier.....