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girart de roussillon

lui ses barons et ses marquis. Thierri d’Ascane s’y trouvait, tout blessé qu’il était. Il est, entre tous, le plus sage et le plus courtois, et, quand il parle, on l’écoute avec respect. Les messagers descendent là, et Charles les interroge : « Dites ce qu’il en est ? »

183. « Sire, » dit Tibert, parlant comme un homme attristé, « sans qu’il t’eût fait tort ni refusé le droit, tu as occupé sa terre ; tu lui as tué son père à grand péché, blessé à mort Odilon, son oncle ; toutefois, pour l’amour de Jésus qui fait partie de la Trinité, qui nous a fait paraître des signes éclatants, pour se conformer aux conseils de ses barons, il consentirait à ce que tous les torts fussent pardonnés. Là dessus tous[1] étaient d’accord, mais, par une dernière parole, il a ajouté une dure condition, jurant Dieu de majesté qu’il ne sera jamais ton fidèle ni ton privé, si avant tout le duc [Thierri] n’est excepté de l’accord, de façon qu’il n’ait plus amitié avec toi.

184. — Par mon chef ! » dit le roi, « pour rien au monde, je ne voudrais avoir commis une telle injustice, que le duc ait guerre sans moi ! » Et Thierri répondit : « Sire, merci ! Ne plaise à Dieu, le grand roi, que jamais personne fasse guerre à cause de moi ! Il y a cent ans que je suis né, et plus je crois[2] ; j’ai le poil blanc comme neige. Chassé de France à grand tort, j’ai traversé un bras de mer, et sept ans je suis resté en exil à Mont-Caucei[3]. J’y retournerai, avec la permission du roi, lui laissant mes trois fils, Aimon, Aimeri et Andefroi. Quand Girart sera réconcilié avec le roi, mes amis et seigneurs, priez-le pour moi, car je veux me mettre entièrement à sa merci. »

185. À ces mots, Charles éprouva une grande douleur :

  1. Tous les conseillers de Girart.
  2. Il faut se souvenir qu’au moyen âge il est rare qu’on sache exactement son âge.
  3. Cf. p. 90, n. 3.