est revenu du combat, avec lui mille chevaliers de ses privés, qui ont perdu leurs lances, et ébréché leurs épées ; ils les portent nues, ensanglantées ; elles ne rentreront au fourreau qu’après avoir été lavées, fourbies avec un linge et essuyées. Par le conseil de Fouque, qui est plein de sagesse, le butin entier fut présenté à Charles, et celui-ci dit : « Comte Girart, prenez le tout, et le distribuez à ceux de vos hommes que vous aimez le mieux. Par vous, comte, je serai estimé, respecté, craint et redouté, et, à moins que vous ayez du ressentiment pour moi, je vous aimerai plus qu’homme au monde. — Et moi de même, » dit Girart, « s’il vous plaît. » Leur amitié n’eût jamais été rompue, sans Boson d’Escarpion, qui les a divisés. Ce fut son malheur et son péché, car par suite il en mourut, et Girart le comte fut deshérité, son château détruit et ruiné.
198. Si grande était l’amitié de Girart et du roi, que celui-ci l’emmena avec lui en France à Saint-Remi. Il lui dit tous ses secrets, tant il l’aime et se fie à lui. Désormais Girart peut faire en France le tort et le droit. Il n’y a si puissant homme, dès qu’il s’élève contre lui, qui n’ait forfait sa terre et son pays : on la donne à Girart le riche marquis. Le comte fait à son gré justice de tous,
199[1]. Le comte et le roi sont si bien ensemble qu’il n’y a baron en France ni en Vermandois, en Berry ni en Auvergne ni en Forez, s’il a commis tort ou déloyauté envers Charles, qui n’ait forfait sa terre et son pays. On la rend à Girart le riche marquis. Ainsi dura bien leur entente soixante mois, sans que Girart fît au roi rien qui lui pesât ; bien au contraire il se battit pour lui contre trois païens, et lui soumit de vive force Raimbaut le frison[2]. Le terme est arrivé qu’il a im-