Page:Meyerson - Identité et réalité, 1908.djvu/38

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magie, et celle-ci, en tant qu’elle croit à l’efficacité absolue de ses pratiques, établit proprement une loi, c’est-à-dire se transforme en science expérimentale ; c’est ce qui explique que l’alchimie, qui avait conservé jusqu’au bout tant d’accointances avec la magie, ait pu paisiblement évoluer en chimie.

Mais, dans la théologie proprement dite, les actes du dieu restent bien libres, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas déterminés ou ne le sont pas complètement ; de même que, pour mes actes propres ou ceux de mes semblables, je suppose habituellement qu’ils sont en partie déterminés par des antécédents d’ordre divers et en partie libres, le fidèle considère les actes de la divinité envers lui comme en partie motivés par le mérite ou démérite du suppliant, par ses prières, etc., et en partie libres. Par contre, ces actes déterminent des événements qui, à leur tour, en font naître d’autres, et ainsi à l’infini. Si, en remontant une chaîne d’événements, nous trouvons un acte de libre-arbitre d’une divinité, la totalité ou une partie de la chaîne s’arrêtera là ; ce sera ce que Renouvier a appelé un « commencement absolu[1] ». Cet acte apparaît donc comme non déterminé par ses antécédents, comme une dérogation aux lois. C’est ce qu’on appelle un miracle.

On dit quelquefois que la science nie le miracle : c’est parler fort inexactement. En progressant, nous l’avons vu, elle tend à en restreindre le domaine : bien des phénomènes qui apparaissaient, à l’homme primitif, comme des miracles, rentrent pour nous dans le domaine de la science. On peut dire, dans ce sens, que la science confirme le postulat de légalité, mais il est entendu que cette confirmation ne saurait être absolue. Quant au miracle, il reste nécessairement, comme tout acte de libre-arbitre, en dehors de la science et séparé de celle-ci par un mur infranchissable. En effet, de tout temps, il y eut des thaumaturges et des miracles, de tout temps les dévots ont éprouvé le désir bien naturel de démontrer par l’expérience l’efficacité de l’intervention de leur divinité. On peut hardiment affirmer qu’en un sens il n’y a peut-être pas eu d’expérience tentée aussi fréquemment que celle-là. Pourtant la démonstration n’a jamais réussi : c’est qu’elle est impossible par essence. Si l’eau de la grotte de Lourdes guérissait invariablement tous les paralytiques qu’on y plonge, ce serait une loi, et nous nous mettrions certainement à cher-

  1. Renouvier. Critique philosophique, vol. VII. 1878, p. 186.