Page:Meyerson - La déduction relativiste, 1923.djvu/281

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l'évolution scientifique, permettent, croyons-nous, de l'apercevoir avec quelque netteté.

Dans le dix-huitième chapitre de notre ouvrage précédent ("De l'explication dans les sciences", t. II, p. 354 et suiv.) nous avons exposé comment la science, poursuivant le même but que la philosophie, en ce sens qu'elle cherche, elle aussi, à faire apparaître le réel entier comme conditionné par la pensée elle-même, comme nécessaire, s'en distingue cependant en ce que la raison qui la crée et qui s'y manifeste la raison scientifique agrée, au moins provisoirement, l'existence de l'irrationnel qui lui vient du dehors, de la perception, alors que, pour la philosophie, une telle attitude constituerait, selon la juste expression de M. Burnet, une sorte de suicide. C'est cette résignation, cette soumission caractérisant la science, qui fait que celle-ci peut, dans ses raisonnements, se tenir constamment très près du réel et que l'expérience, par conséquent, peut y jouer un rôle si considérable. Mais la résignation n'est tout de même que provisoire, car la raison ne renonce jamais à ses droits.

1. Pour se rendre compte à quel point la physique, au moment où parut Newton, était dominée par les conceptions de Descartes, il suint de jeter un coup d'oeil sur les manuels alors en usage. Celui de Rohault, qui fit autorité, dans tous les pays d'Europe, pendant plus d'un demi-siècle, était entièrement pénétré d'esprit cartésien, cf. Lasswitz, "Geschichte der Atomistik", Hambourg, 1890, vol. II, p. 410.

Le donné de la perception qu'elle semble avoir primitivement accepté, puisqu'il forme son point de départ, la science cherche ensuite, en se retournant contre lui, à l'expliquer à l'aide de ses raisonnements et de ses théories, et elle n'a de cesse qu'elle ne l'ait dissous dans l'espace. Ainsi la véritable distinction entre elle et la philosophie se trouve dans le fait qu'elle cherche à atteindre par des voies détournées, graduellement, ce à quoi la philosophie croit pouvoir parvenir d'un coup. Mais elle réside aussi, et même surtout, dans cette circonstance que cette marche de la science, contrairement à celle de la philosophie, est inconsciente.