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ensemble d’organismes individuels, tels que par exemple un troupeau. Et c’est ainsi que s’établirait une transition, un pont entre le fait physique (ou physiologique) et le fait psychologique.

Ce raisonnement — car il s’agit évidemment d’un tel — est-il pleinement convaincant ? On nous dit que nous devons penser simultanément à ce qui relève de l’un et de l’autre ordre de choses, et que ce n’est qu’ainsi que nous nous formerons de ce qui se passe là une idée juste, les deux aspects étant complémentaires. Mais la pensée est-elle vraiment à même de réaliser la simultanéité que l’on prétend lui imposer ? M. Jordan fait valoir que ce n’est pas, somme toute, exiger d’elle un effort plus considérable que celui qui consiste à considérer le rayonnement comme étant à la fois projection de corpuscules et propagation d’ondes, et il y a certainement beaucoup de juste dans cette manière de voir. Mais précisément, est-il possible, dans ce cas encore, de fondre véritablement les deux images ? N’est-il pas clair, tout au contraire, que tout ce à quoi le physicien des quanta le plus résolu peut parvenir, c’est à passer rapidement, mais successivement, alternativement, de l’une à l’autre de ces images par essence inconciliables (C. P., § 38 et suiv.) ?

Eh bien, il en sera de même, on peut, semble-t-il, l’affirmer avec une certaine assurance, de l’aspect physique ou physiologique d’une part et de l’aspect psychologique d’autre part : jamais on ne réussira à les confondre. Supposons réalisé — évidemment dans des conditions tout autres que celles imaginées par le philosophe — le rêve qui a inspiré à Leibniz l’image bien connue du moulin : nous aurons vu au cerveau une particule se détacher et se mouvoir dans telle ou telle direction[1]. Ce que nous aurions perçu là du dehors serait un acte de libre arbitre, et ce serait conforme à ce que nous voyons s’accomplir dans le quantique non-organisé. Cela est-il tout à fait exact ? Ce que nous montre la physique quantique, ce sont des phénomènes que nous sommes forcés d’attribuer au pur hasard, alors que la particule cérébrale obéirait à une

  1. Il convient d’ajouter que ni M. Bohr, ni M. Jordan ne croient que l’on parvienne jamais à réaliser une observation de ce genre, pour cette simple raison, qu’il est fort probable qu’en essayant d’observer, on dérangerait le phénomène même, on le modifierait : ce serait un concours de circonstances analogue à celui qui nous empêche de déterminer à la fois la localisation et la vitesse du corpuscule.