Page:Meyerson - Réel et déterminisme dans la physique quantique.pdf/33

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tra jamais complètement, qu’il restera toujours de l’irrationnel. Mais il ne s’en suit nullement qu’il ne faille point s’attaquer à lui, qu’il faille le laisser subsister tel quel. D’ailleurs la raison ne souffrirait pas une telle abstention, sa fonction essentielle consistant justement à rationaliser le réel. Elle le fait en l’expliquant, et il est parfaitement clair qu’en discutant sur cette question de l’assimilation entre l’indéterminé quantique et le libre-arbitre, nous nous mouvons en plein sur ce terrain de la véritable explication. Sans doute, les physiciens dont nous avons plus haut résumé les opinions n’en ont-ils pas conscience ; ils se servent du terme causal uniquement pour désigner ce qui est simplement déterminé (c’est-à-dire, selon notre terminologie, légal). Mais il suffit d’y prendre garde pour se convaincre que la question de savoir s’il y a ou non indétermination n’entre pas en jeu dans ces exposés. En effet, le libre arbitre comme le phénomène quantique sont, l’un et l’autre, conçus comme indéterminés, et l’assimilation, à ce point de vue, tout en étant aisée, ne présenterait qu’un bien faible intérêt. Ce qui, au contraire, lui prête un intérêt puissant, c’est évidemment le fait qu’à l’aide de l’indéterminisme quantique, on espère pouvoir expliquer le libre arbitre, le comprendre.

Ceci dit, il faudra nous rappeler à quel point, précisément dans cet ordre d’idées de l’explication causale (ce terme, bien entendu conçu selon notre nomenclature), le comportement futur de la raison est malaisé à prévoir. Nous avions, à ce propos, parlé autrefois (D. R., § 121) d’une erreur commune à deux puissants esprits d’un passé récent, à savoir du mathématicien Poincaré et du philosophe Lotze, erreur d’autant plus significative qu’ils l’ont commise indépendamment l’un de l’autre. Cette erreur a consisté à nier que la raison si, à propos de certaines constatations, une explication par les concepts de la géométrie transcendante lui était offerte, pût s’engager dans cette voie, en d’autres termes que le physicien réussît jamais à comprendre un aspect quelconque du réel par ce moyen. Or, on le sait assez, les physiciens de nos jours, à d’infimes exceptions près, sont très certainement einsteiniens et donc comprennent parfaitement par la voie que Poincaré et Lotze entendaient leur interdire à tout jamais. C’est là, il est presque inutile d’y insister, une constatation qui doit nous inspirer, dans une situation qui est manifestement assez analogue, beaucoup de prudence. On ne parviendra point, assurément, à