Page:Meyerson - Réel et déterminisme dans la physique quantique.pdf/36

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viste du savoir, qui pousse à surestimer la valeur, pour l’entendement, de ce qui contribue à accroître la précision de la description légale ; le lecteur a vu, au début du présent article, comment, pour M. Planck, l’image ontologique du réel, le Weltbild lui-même, ne devrait son existence qu’à ce souci de précision. Mais nous avons constaté combien peu cette manière de voir se justifie en face de l’évolution réelle des théories scientifiques. Il en est de même ici. Le physicien, assurément, a de tout temps considéré la matière comme un réel, et l’usage de la balance est très antérieur à tout savoir systématique ; mais Descartes encore, on le sait, nie expressément que ce soit le poids qui indique véritablement la quantité de la matière, et l’affirmation contraire n’a prévalu que par suite, précisément, du triomphe des idées de Lavoisier. Ainsi l’on doit supposer que lors de la lutte, à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, l’avantage du facteur numérique n’a pu agir qu’en qualité d’adjuvant ce dont la théorie nouvelle affirmait la conservation, apparaissait sans doute comme moins important, moins essentiel que cet élément de qualité dont naguère on avait prétendu suivre le déplacement, mais cela était saisissable de manière plus nette. Cependant, ce qui, en dernier terme, a décidé de la victoire, ce qui l’a rendue si complète, surtout, c’est très certainement le succès même de la théorie antiphlogistique. Car elle fournit immédiatement, entre les mains de Lavoisier et celles de ses disciples immédiats, la moisson la plus étonnante de découvertes précieuses. Et depuis, tout un immense savoir en a surgi, savoir infiniment riche en résultats expérimentaux, et de plus, admirablement ordonné à l’aide de conceptions théoriques fortement cohérentes. C’est ainsi que le réel pondéré a fini par s’imposer définitivement comme le seul réel véritable, au point que le chimiste de nos jours croirait blasphémer en doutant que le chlore et le sodium sont réellement contenus dans le sel marin — alors que cependant aucune des propriétés caractéristiques du gaz verdâtre et irritant et du métal brillant et mou n’apparaît dans les cristaux incolores et que, de ce chef, l’affirmation serait, par un esprit non prévenu, immanquablement jugée comme étant dénuée de sens. Mais le chimiste, lui, nous l’avons dit, a certainement l’impression de comprendre ce qui se passe quand les deux éléments s’unissent. L’on pourrait affirmer que cet aspect de l’évolution de la pensée dans le temps se rapproche du schéma pragmatiste. Mais ce serait