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des éléments. De même, il estime que la déduction de la constante de Balmer constitue un résultat qui « peut être considéré comme un premier pas vers la réalisation du programme que nous a imposé la découverte de l’atome moléculaire : rendre compte des propriétés spécifiques des éléments à l’aide du seul nombre atomique »…[1] Ainsi les chimistes, jusqu’aux phlogisticiens inclusivement, n’ont nullement procédé, contrairement à ce que l’on entend affirmer fréquemment, de manière anti-scientifique en se préoccupant en première ligne de la qualité, et il a fallu le coup d’œil de génie de Lavoisier pour reconnaître qu’il était nécessaire de concevoir le réel tout autrement, tourner résolument le dos à ce qui apparaissait comme la voie la plus directe et placer en première ligne des considérations de poids, que tout le monde avait considérées jusque-là comme à peu près dénuées d’intérêt. Le grand maître incontesté de la chimie française à cette époque, Macquer, qui fut non seulement un admirable expérimentateur, mais en outre un esprit des plus judicieux, ne déclara-t-il pas, après les premières attaques de Lavoisier contre la théorie régnante, qu’il se sentait parfaitement rassuré sur le sort du phlogistique du moment où on ne pouvait faire valoir à cet égard que des raisons de quantité (cf. E. S., p. 605) ? Aussi la rupture fut-elle pénible et la lutte longue et violente.

Comment se fait-il que la situation ait changé au point que ce passé apparaisse étrange, paradoxal, malaisément compréhensible ? On affirme quelquefois que c’est le simple fait que, par la pesée, on pouvait attacher au concept de matière un coefficient numérique qui a joué le rôle décisif : le réel, dit-on, est ce qui permet la mesure. Mais quoi que l’on puisse avancer pour justifier une telle métaphysique, il est certain que personne ne l’a professée à l’époque ; on en chercherait vainement la trace dans les écrits polémiques, si abondants et si violents, qui ont marqué l’avènement de la théorie anti-phlogistique. Sans doute la conception que nous venons de mentionner paraît-elle confirmée par le schéma positi-

  1. N. Bohr, l.c., p. 30, 34, 42 cf. ib., p. 98 « la masse du noyau détermine le poids atomique du corps, mais n’a qu’une influence minime sur les autres propriétés, celles-ci sont déterminées principalement par la charge électrique du noyau » et p. 99 : « la grande stabilité des éléments provient de ce que les réactions physico-chimiques ordinaires n’atteignent pas l’atome, mais ne modifient que la liaison des électrons dans l’atome ».