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caporal. Mais il avait de l’opiniâtreté, du courage, et annonçait, quelque talent comme tacticien ; la guerre que la Suède soutenait alors contre la Russie lui fournit l’occasion de se distinguer, et il gagna les épaulettes d’officier, en même temps qu’il eut cultivait les lettres et publiait un volume de poésies. Il obtint la confiance de Gustave III, fut nommé, en 1792, chevalier de l’ordre de l’Épée, et l’on a prétendu que le jeune officier avait à cette époque reçu mission secrète de soulever en Norwége des ennemis à la domination danoise, et de préparer la réunion de ce pays à la Suède. Toujours est-il que, si cette mission exista, elle n’eut point de succès : le moment n’était pas venu ; Gustave III ne devait pas avoir le temps d’accomplir ce grand et patriotique projet. À sa mort, Adlersparre, qui n’était encore que chef d’escadron, ne crut point devoir servir un gouvernement dont il ne partageait pas les principes ; il passa des armes à l’étude, et reprit ses travaux littéraires. Cette fois, abandonnant la poésie, pour laquelle d’ailleurs il n’était point fait, il embrassa des sujets plus sérieux, l’histoire, l’art militaire, la politique, l’économie politique, et ce fut même lui qui, plus tard, fit connaître à la Suède les travaux d’Adam Smith. Adlersparre entreprit également une publication périodique qui fut très-bien accueillie par la nation suédoise, sinon par la cour. Ce journal portait le titre de Lasning i blandade Amnem (Mélanges), et avait pour rédacteurs, conjointement avec son fondateur, des hommes fort honorablement connus dans la littérature suédoise, Léopold, Silverstoppe, David Schulzenheim, Lehnberg, etc. En 1809, après trois années de vogue, cette feuille cessa de paraitre ; Adlersparre se retira alors pour quelque temps de la vie publique. Plus d’une fois, dans sa longue carrière, il s’est laissé entraîner ainsi à des sortes d’accès de misanthropie, suites naturelles de l’opiniatreté et de l’inégalité de son caractère. Un événement, que sans doute il ne prévoyait pas, vint le tirer d’un repos sans gloire. La guerre avait recommencé avec la Russie, et pour comble, le Danemark attaquait la Suède par la Norwége. Le gouvernement, dont jusqu’alors Adlersparre s’était tenu éloigné, l’appela au commandement d’une division de l’armée de l’ouest, dans lequel il se distingua par sa tactique habile et remporta quelques avantages. Il passa ensuite dans la province de Wermland, où ses talents étaient plus nécessaires encore, et prit sous ses ordres la division placée à la défense de cette province. Il y ramena la confiance en changeant le système de résistance qui avait prévalu, et mit l’armée en état de faire face l’ennemi. En même temps il avait su s’assurer du dévouement de ses troupes : aussi bien allait-il les mettre en demeure de lui en donner des preuves. Le moment d’exécuter le projet de révolution répandu dans toute la Suède, et accepté avec empressement par les cabinets de St-Pétersbourg et de Copenhague, était arrivé. La conspiration préparée à Stockholm, et qui avait pour chef avoué Adlerscreutz et pour chef secret le duc de Sudermanie (voy. Charles XIII), était sur le point d’éclater. Il fut facile à Adlersparre de conclure un armistice avec le commandant en chef de l’armée danoise, prince d’Augustenbourg ; car ce prince était dans les secrets de la conspiration et partageait personnellement les espérances du duc de Sudermanie, s’il ne comptait pas immédiatement sur le trône de Suède pour lui-même. Dès lors Adlersparre put marcher sur Stockholm et se préparer à un rôle éclatant dans la révolution qui allait s’accomplir. Initié aux plans des ennemis de Gustave, il agit cependant spontanément et suivant ses vues personnelles. Il fit sur la situation une proclamation emphatique qu’il se chargea lui-même de lire dans les villes et villages où il s’arrêta, et ne trouva partout sur sa route que des esprits disposés à accepter comme heureux un changement de gouvernement. Un passage de cette proclamation devint toutefois l’objet de nombreuses plaisanteries. C’est celui où il jurait que « la patrie ne perdrait plus un pouce de terrain. » Cependant une lettre du directeur de la poste d’Œrebro informait les agents du pouvoir de la marche hostile d’Adlersparre, et Gustave refusait d’y croire. Ce prince ne tarda pas à apprendre que les rebelles n’étaient plus qu’à deux jours de la capitale : c’est alors qu’il voulut marcher à leur rencontre ; mais le temps d’agir était passé : la révolution éclata à Stockholm : le roi ne devait plus quitter cette ville que pour un exil éternel. Lorsque Gustave fut renversé du trône, et qu’il fallut organiser le nouvel ordre de choses, le duc de Sudermanie et Adlerscreutz firent de vains efforts pour qu’Adlersparre entrât seul et sans troupes à Stockholm ; mais le lieutenant-colonel ne put se rendre à ce vœu. Les soldats qu’il avait amenés de la Wermlandie l’accompagnèrent à son entrée dans la capitale ; et, fort de leur appui moral, pouvant au besoin compter sur leurs bras, il obtint une grande influence et fut le chef d’un parti dans la diète. Il se prononça d’abord pour le renversement complet de la dynastie, et proposa comme candidat à la royauté le prince Christian-Auguste d’Augustenbourg, dont-il avait apprécié le caractère élevé et les talents distingués dans la guerre de Norwége ; mais lorsque la majorité sembla devoir se déclarer pour le duc de Sudermanie, Adlersparre se réunit aux partisans du prince et vota pour son élévation au trône. Charles XIII, soit par reconnaissance, soit aussi pour s’attacher un homme qui pouvait être redoutable, le combla d’honneurs. Adlersparre devint conseiller d’État, adjudant général, commandant de l’Épée de Suède, et enfin baron. Ses lettres de noblesse portaient que ce titre était donné à sa loyauté, à son activité et aux vertus patriotiques qu’il avait déployées lors du changement de gouvernement. Toutefois il existait entre Adlersparre et Adlerscreutz une rivalité d’ambition que les luttes parlementaires qu’ils s’étaient d’abord livrées dans les préliminaires de l’élection du nouveau roi ne firent qu’envenimer. Du reste, si Adlersparre n’avait pu réussir à porter immédiatement au trône le prince Christian d’Augustenbourg, il parvint sans difficulté à le faire accepter comme héritier de Charles XIII. L’un des derniers actes d’Adlersparre, dans