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AGN

et surtout Fréderic et Léopold, à prendre les armes contre les conspirateurs. Ces derniers se réfugièrent d’abord dans quelques places fortes ; mais, ne pouvant s’y maintenir, ils prirent la fuite, et les habitants de toutes les villes qui leur avaient donné asile ou livre passage portèrent la peine d’un crime qui leur était étranger ; Agnès poursuivait ses frères de clameurs et de reproches, lorsque leur ressentiment semblait s’affaiblir ; et, à ses instigations, ils passèrent au fil de l’épée toutes les garnisons des forteresses où les meurtriers d’Albert avaient essayé de se défendre. Agnès prononça un arrêt de mort contre tous leurs domestiques et tous leurs vassaux, sans distinction ; exigea la confiscation de leurs biens, et le bannissement de leurs familles. La veuve d’Albert joignit sa vengeance à celle de sa fille. L’un de ses fils, Frédéric le Beau, voulant un jour arrêter les torrents de sang que la fureur de ses deux femmes faisait répandre : « On voit bien, lui dit sa mère, que tu n’as pas contemple le cadavre sanglant et défigure de celui qui fut ton père et mon époux. Je consentirais volontiers et avec joie à prolonger mes jours parle travail de mes mains, ou en demandant l’aumône sur les chemins publics, si je pouvais rappeler mon Albert à la vie. » Agnès présida, du haut d’une espèce de trône, au supplice de soixante-trois paysans, sujets de Rodolphe de Balm, l’un des assassins d’Albert. Ces malheureux moururent en prenant le ciel à témoin de leur innocence. Durant l’exécution, Agnès répétait, un chapelet à la main, ces mots d’une ancienne légende, dite de Ste. Élisabeth ; « Je me baigne à présent dans la rosée de mai. » Rodolphe de Wart, un autre des coupables, périt à ses yeux sur la roue, et le hasard ayant mis en sa puissance un fils encore enfant de Walter d’Eschenbach, celui qui avait porté à Albert le coup mortel, elle voulut l’étrangler de ses propres mains : des soldats le lui arrachèrent. L’histoire porte à plus de mille personnes le nombre des victimes immolées par Agnès sur le tombeau de son père. Après s’être ainsi couverte de sang, elle fonda un monastère sur le lieu même où le meurtre avait été commis, et se livra dans cette retraite à la dévotion la plus austère ; elle y passa plus de cinquante ans au pied des autels. Un vieux ermite, qui traversait la Suisse, arriva un soir près du cloître qu’habitait Agnès : elle s’empressa de lui témoigner sa vénération, et de lui offrir un asile. « Princesse, lui dit-il, des édifices cimentés du sang innocent, des aumônes, fruit de la spoliation des familles, ne plaisent ni à Dieu ni à ses serviteurs. Ce que le ciel exige, c’est l’oubli des injures, la miséricorde et la pitié ; » et après avoir prononcé ces paroles il s’éloigna. Agnès avait épousé, en 1296, André, roi de Hongrie, que la mort vint surprendre fort peu de temps après son mariage[1]. Quant à Agnès, elle parvint a un âge avancé. Elle avait près de 80 ans lorsqu’elle mourut en l’année 1364. B. C-t.

AGNES SORELLE[2] naquit vers 1409, au village de Fromenteau en Touraine, de famille noble et justement estimée. Dès l’âge de quinze ans, ses heureuses dispositions et sa grande beauté lui méritèrent l’attention d’Isabelle de Lorraine, femme de René d’Anjou, qui l’attacha a sa personne comme fille d’honneur. À la cour d’Isabelle, la demoiselle de Fromenteau se trouvait au milieu d’une société aussi cultivée que brillante : la princesse elle-même était la femme de son temps la plus remarquable par sa grâce et son savoir ; aussi la jeune Agnès s’éleva promptement à toute la perfection des manières et de l’esprit. Rien de plus piquant que ses saillies, disent les auteurs de l’époque, et ils ajoutent que ces qualités brillantes n’ôtaient rien à la solidité de son jugement. Ils ne tarissent point sur l’éclat et les charmes de son visage. Suivant Villeneuve, personne ne se dérobait à ses attraits ; les femmes comme les hommes ne pouvaient la connaître sans l’aimer. Inspiré par ces éloges, Baïf les a résumés dans ces deux vers pleins de grâce :

Agnès de belle Agnès retiendra le surnom
Tant que de la beauté beauté sera le nom.

En un mot, il ne lui manquait qu’une occasion pour gagner le cœur d’un roi : le hasard la fit naître. Le chevaleresque et présomptueux René d’Anjou s’était fait prendre à la journée de Bullégneville, et ses vainqueurs l’avaient emmené en Bourgogne et enfermé dans une tour (1431). Isabelle, sa femme, allait sollicitant un appui pour le tirer de captivité ; elle vint à la cour de Charles VII : Agnès l’accompagnait. À la vue de tant de beauté unie à tant d’esprit, le roi conçut pour la demoiselle de Fromenteau une vive passion qu’il ne tarda pas à lui faire connaître. Mais tout d’abord la vertu de la jeune fille soutint avec succès le combat. « Toute simple damoiselle que je suis, dit-elle un jour à Xaintrailles, la conquête du roi ne sera pas facile ; je le révère et l’honore, mais je ne crois pas que j’aie rien a demeler avec la royne à ce sujet. » La belle Agnès s’abusait sur ses forces ; elle fut vaincue dans cette lutte inégale. — Sa défaite resta longtemps couverte du plus profond mystère ; cependant les soupçons s’éveillèrent et elle ne dissimula plus. On la vit afficher un luxe véritablement royal : « Le roy l’avoit mise, elle pauvre damoiselle, en tel triomphe et tel pouvoir que son estat estoit a comparer aux grandes princesses du royaume. » « Ses robes étoient fourrés et ses colliers d’or : ses habits brilloient de pierreries et de diamans » Ces richesses et ce luxe devaient surtout être remarqués dans une cour aussi pauvre que l’était alors celle de France. Le temps n’était pas loin ou Charles VII avait composé à Bourges pour une somme de 40 livres due au chapelain qui baptisa le dauphin, et l’on se souvenait d’avoir vu le trésorier du roi avec 4 écus dans sa caisse. Il y eut

  1. Agnès avait eu de son mariage avec André III une fille qui embrassa la vie religieuse dans le monastère de Rœss en Suisse.
  2. Les auteurs qui ont fait mention d’Agnès écrivent indifféremment Sorel, Soreau ou du Soreau, Surelle, Seurelle, Sorel ou du Soret ; on trouve le même personnage designé par le nom de Surette ; mais des pièces authentiques et officielles de l’époque justifient l’orthographe que nous donnons