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AIG

rencontra un pauvre qui lui demanda l’aumône ; Aidan, n’ayant point d’argent, mit pied à terre, donna au pauvre son cheval avec tout son appareil, et continua sa route à pied. LE roi ayant été informé de cet acte de charité un peu bizarres en témoigna son mécontentement à l’évêque, en lui disant : « Milord, comment avez-vous pu faire assez peu de cas de mon présent pour le donner à un pauvre ? Si cet homme avait absolument besoin d’un cheval, ne pouviez-vous pas lui en donner un de moindre valeur ; et s’il n’en avait pas un véritable besoin, ne pouviez-vous pas le secourir d’une autre manière ? » L’évêque lui répondit : « Sire, vous ne me paraissez pas avoir considéré cette affaire avec l’attention qu’elle mérite. Est-ce que vous attacheriez plus de prix à l’enfant d’une jument qu’à un fils de Dieu ? Numquid tibi carior est ille filius equœ quam ille filius Dei ? » Bède rapporte plusieurs miracles que l’évêque Aidan a opérés pendant sa vie et après sa mort. Le récit qu’il en fait ne doit pas être soumis à une analyse rigoureuse ; mais, parmi ces miracles, il en est un qui mérite qu’on s’y arrête, parce qu’il peut servir à expliquer un fait de physique plusieurs fois observé, et encore problématique. Le roi de Northumberland, Oswin, ayant obtenu en mariage la princesse Eanfieda, fille du roi Edwin, qui résidait à Canterbury, chargea un prêtre, nommé Utta, de se rendre dans cette ville pour y recevoir la princesse, et la conduire dans le Northumberland. Le prêtre devait aller par terre à Canterbury, et revenir par mer ; avant de partir, il alla trouver Aidan, et se recommanda à ses prières pour l’heureux succès de son voyage. Le bon évêque donna à Utta sa bénédiction, le recommanda à Dieu, et lui prédit qu’à son retour, il serait accueilli par une violente tempête ; mais il lui donna une fiole d’huile, en lui recommandant de répandre l’huile sur les vagues de la mer, quand elles seraient le plus agitées, et que ce moyen les calmerait aussitôt. Tout se passa exactement comme l’évêque l’avait annoncé ; la tempête eut lieu, et menaçait le vaisseau d’une destruction inévitable ; mais heureusement la fiole d’huile apaisa tout, et le navire ramena saine et sauve la princesse Eanfieda à son royal époux. On pensera ce qu’on voudra de la prédiction ; mais le récit prouve que, du temps de Bède au moins, on avait connaissance de la propriété attribuée à l’huile de calmer les flots de la mer. Il y a vingt à vingt-cinq ans que Francklin en fit l’observation, et cita plusieurs expériences qui semblaient en garantir la certitude ; on se moqua d’abord de cette opinion ; lorsqu’ensuite l’autorité de Francklin, et des épreuves répétées qu’on ne pouvait plus contester, eurent donné à l’observation un degré de probabilité qui embarrassait les incrédules, on se borna à dire que le fait était connu même des anciens, et l’on cita des passages de Pline et de Plutarque où il en était fait mention. Tel a été le soirt de plusieurs découvertes modernes ; cependant, la propriété supposée de l’huile a encore besoin d’être soumise à des expériences plus précises que celles qui ont été faites jusqu’ici. Aidan mourut en 654, et son corps fut enterré dans son église épiscopale de Lindisfarne. S-d.


AIGNAN (Étienne), écrivain laborieux qui a embrassé presque tous les genres de littérature, depuis la poésie épique jusqu’au pamphlet, naquit à Beaugency, en 1773, d’une famille de robe, et fit ses études à Orléans. Dès l’âge de dix-neuf ans, il fut nommé procureur général syndic du département du Loiret, ce qui le mit dans le cas de publier des proclamations et de prononcer des discours empreints des opinions les plus démagogiques, notamment à l’occasion de la condamnation d’Hébert et de Danton (24 mars 1794), puis pour la fête de l’Étre suprême (4 juin suivant). Les auteurs de la Bibliothèque royaliste, qui, sous la restauration, ont reproduit ces pièces, et prétendu qu’Aignan prenait alors le nom de Brutus, ce qui n’a pas été démenti, auraient du se rappeler qu’il avait a peine vingt ans quand il cédait à ce fâcheux entraînement. On doit ajouter que, comme ses actions étaient peu d’accord avec ce langage, sa modération réelle le tendit bientôt suspect : il fut incarcéré, conduit à Paris, et renfermé à la Conciergerie. La mort de Robespierre vint le soustraire à une condamnation certaine. Alors il reprit ses fonctions ; et, dans la séance publique tenue par les autorités administratives d’Orléans, sous la présidence du représentant Porcher, depuis comte de Richebourg, le 4 mars 1793, Aignan reçut des témoignages éclatante de l’estime et de la reconnaissance de ses concitoyens. On lit ces paroles dans le procès-verbal : « Il est permis enfin de décerner la couronne civique au petit nombre d’hommes qui, sous l’empire de la tyrannie, eurent le courage si rare d’attaquer ses suppôts : Aignan, tu te dévouas pour la liberté, pour la patrie ! Ton courage entreprit de devancer dans ces murs l’heureuse époque du 9 thermidor » La municipalité d’Orléans, voulant alors honorer par une fête funèbre la mémoire de neuf citoyens que le représentant Léonard Bourdon avait fait condamner à mort par le tribunal révolutionnaire, choisit Aignan pour composer, les chants destinés à cette cérémonie. Sa pièce à pour titre : Aux mânes des victimes d’Orléans ! mélo-drame, 1795, in-12. Ce n’était pas la première fois que sa muse se consacrait au malheur ; l’exécution du roi martyr lui avait, sous les yeux même de ses bourreaux, inspiré une tragédie ; mais, comme l’a observé Auger, dans l’éloge d’Aignan, elle n’était pas destinée pour le théâtre ; et le seul triomphe qu’elle pût procurer au poëte était la mort sur un échafaud. La Mort de Louis XVI, pièce en trois actes, fut imprimée trois semaines après cette catastrophe, et, dans l’éloge déjà cité, Auger : rapporte à ce sujet l’anecdote suivante : « Si Aignan, qui venait ainsi d’exposer sa tête, n’accrut pas alors le danger par des confidences indiscrètes, on ne le vit pas non plus, le péril passé, tirer vanité de sa courageuse imprudence. Il n’en faisait ni ostentation ni mystère : il aimait seulement qu’on en fut informé. Une fois pourtant il céda au désir de s’en glorifier lui-même. Peu de mois avant sa mort, dans une de nos séances académiques, il aborda,