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de là vint sans doute le nom de Ghaur[1] que les arabes musulmans donnèrent à ces montagnes, à ceux qui les habitaient, à la province où elles étaient situées, et à la ville qui en devint la capitale. Il parait cependant que les princes Ghaurides finirent par embrasser l’islamisme, afin d’être maintenus, par les puissances tout à tour dominant, dans le gouvernement héréditaire de leur province. Cette principauté fut détruite vers l’an 400 de l’hégire de J.-C. 1000) par le célèbre sultan Mahmoud le Gharnévide. ( Voy. ce nom.) Mohammed-ben-souri s’empoisonna pour ne pas survivre à la perte de sa puissance, et son fils se sauva dans l’Indoustan, ou il s’attacha au service d’une pagode. Sam, fils de ce dernier, ayant succédé à l’emploi de son père, voulut revoir son pays originaire, et retourner à l’islamisme ; mais le vaisseau sur lequel il avait embarqué sa famille et ses richesses périt dans un naufrage. Son fils Houçaïn, échappé seul à ce désastre, parvint, après une longue suite d’aventures, jusqu’à Ghaznah, où il allait être exécuté comme voleur, si le sultan Ibrahim, l’un des successeurs de Mahmoud, n’eût reconnu son innocence. Houçaïn sut inspirer de l’intérêt à ce monarque, gagne sa confiance, parvint aux premières charges de l’État ; et, sous le règne de Mas’oud III, fils d’Ibrahim, vers l’an 500 (1106), il obtint le gouvernement de Ghaur qu’avaient possédé ses aïeux. — Ala-Eddyn Haçaïn ou Haçan, l’aîné de ses fils ou de ses petits-fils, sujet de cet article, commença de régner l’an 543 (1154). Plein d’ambition et de courage, il ne se contenta pas de posséder le pays de Ghaur comme vassal des Ghaznévides, il se prévalut de la décadence de leurs affaires, par suite de leurs guerres intestines et des conquêtes que les Seldjoucides avaient faites sur eux en Perse, pour se rendre indépendant et étendre les bornes de sa domination. Il osa, l’année suivante, envahir le Khoracan, et attaquer le sultan Sandjar, le plus brave et le plus puissant des Seldjoucides. (Voy. Sandjar.) vaincu et fait prisonnier, il trouva un ennemi généreux qui se contenta de le retenir à sa cour. Houçain, trop heureux d’avoir sauvé sa tête, témoigna sa reconnaissance à Sandjar par toutes sortes de soumissions, et lui fit assidûment sa cour. Un jour, il se prosterna devant lui, baisant les traces qu’avaient laissées les pieds de son cheval, et lui adressa un quatrain persan de sa composition, dont voici le sens : « L’empreinte des pas de votre cheval « sur la terre me sert aujourd’hui de couronne. « L’anneau que je porte en signe d’esclavage est devenu « mon plus bel ornement, Tant que j’aurai le bonheur « de baiser la poussière de vos pieds, je croirai « que la fortune me favorise de ses plus tendres caresses. » Cette basse flatterie eut son effet. Le sultan se plut si fort à sa conversation qu’il voulut toujours l’avoir auprès de lui. Comme le prince ghauride portait la barbe fort longue, contre l’habitude de son pays, Sandjar lui un demanda la raison. Houçain fit à peu près la même réponse qu’on a depuis attribué au marquis de Pomenars : « Lorsque ma tête « m’appartenait, j’avais mille esclave pour en avoir « soin : maintenant que le sultan en est le maître, ils « se donnent du bon temps. » Cette réponse, aussi humble que spirituelle, valut à Houçaïn une boîte de pierreries de très-grand prix que Sandjar lui fit donner, et mieux encore sa liberté et son rétablissement dans ses États, comme vassal des Seldjoucides. Mohammed, l’un des frères d’Ala-Eddyn, ayant pris part à une révolte contre Bahram-Schah, sultan de Ghaznah, celui-ci le fit périr par les mains du bourreau. Cet acte de rigueur impolitique réveilla dans l’âme du roi de Ghaur le souvenir des malheurs de sa famille, causés par les persécutions des premiers princes Ghaznévides, et fit taire la voix de la reconnaissance pour les bienfaits que son père avait reçus des derniers. Il envoya son frère Saïf-Eddyn Souri à la tête d’une armée, qui s’empara de Ghaznah sans coup férir. Bahram, qui n’avait pas osé lui résister, y rentra au moyen des intelligences qu’il entretenait avec les habitants. Saïf-Eddyn, par son ordre, fut barbouillé de noir au visage, placé a califourchon sur un vieux bœuf, la face tournée vers la queue de l’animal, et après avoir été promené par toute la ville et livré aux outrages de la populace, il périt dans les tourments ainsi que son vizir. Ala-Eddyn, transporté de fureur en apprenant le sort de son frère, jura de le venger. Il marcha contre Ghaznah, et après une bataille sanglante, dans laquelle il vainquit Bahram, et tua un de ses fils d’un coup de lance, il s’empara de cette capitale, qu’il pilla et brûla pendant sept jours, avec un grand nombre de villages voisins. C’est cet acte de vengeance qui fit donner à ce prince le surnom de Djihansouz (incendiaire du monde). Les auteurs varient sur les causes, les détails et la date de cet événement ; et plusieurs le placent avant la guerre qu’Ala-Eddyn fit à Sandjar ; mais est-il vraisemblable que ce sultan, oncle de Bahram-Schah, eut traité avec tant de générosité un prince capable de tant de barbarie ? Les malheureux habitants qui survécurent au désastre de leur patrie furent conduits à Ghaur, où leur sang, répandu par la main du bourreau, servit a détremper le ciment des murs de la forteresse. Nous rapporterons a l’année 547 (1152) le désastre de Ghaznah ; auquel Bahram survécut peu. Il mourut de chagrin en se retirant vers Lahor, où son fils Khosrou transporta sa résidence et les débris de la dynastie des Ghaznévides. (Voy. Khosrou.) Sandjar, qui aurait pu secourir puissamment ses neveux, fut vaincu et fait prisonnier l’année suivante par les Turcomans Ghazis, qui envahirent une partie du Khoraçan. Il parait qu’Ala-Eddyn se maintint dans les montagnes de Ghaur, et qu’après la retraite de ces barbares, il recouvra les États qu’il avait enlevés aux princes Ghaznévides, et les laissa en mourant à son fils Saïf-Eddyn Mohammed. Ala-Eddyn Djihansouz mourut vers 551 (1156)· Ce fut un prince habile, spirituel et vaillant. Après le court règne de son fils, ses neveux devinrent très-puissants dans la Perse orientale et

  1. Ghaour, djaour, d’où s’est formé le nom de guèbre, signifie en arabe, idolâtre, infidèle.