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ALA

possible que ce que j’ai entrepris. » Ce discours déconcerta le docteur, qui vit bien qu’il s’était trop avancé. Cependant il monta en chaire le lendemain comme il l’avait promis ; mais au lieu d’un discours qu’on attendait de lui, il ne fit que se montrer pour dire à ses auditeurs : Qu’il vous suffit d’avoir vu Alain, et il disparut aussitôt, laissant l’assemblée dans le plus grand étonnement. » — Voici l’autre anecdote : « L’abbé de Citeaux devant aller à Rome pour assister au concile général que le pape avait convoqué (on n’indique ni le pape ni l’année du concile), prit avec lui Alain pour lui servir de valet de pied et panser les chevaux. Alain demanda en grâce à son abbé de le laisser entrer avec lui dans le lieu du concile. On lui représenta que cela ne se pouvait pas et qu’il serait difficile de tromper la vigilance des gardes. Il y entra cependant caché sous la chape ou le manteau de l’abbé, et se plaça à ses pieds. Ce jour-la on discutait la doctrine des hérétiques du temps, et plusieurs étaient là pour rendre compte de leur croyance. La dispute s’engagea, et les hérétiques semblaient avoir l’avantage. Alors Alain se levant demanda à son abbé la permission de parler, et la demanda jusqu’à trois fois sans pouvoir l’obtenir ; mais le pape ayant su de quoi il s’agissait, lui permit de parler. Alain reprit la controverse et réfuta si bien les hérétiques, que l’un d’eux s’écria : Tu es la diable, ou bien Alain ! — Je ne suis pas la diable, répondit-il, mais je suis Alain. Dès ce moment l’abbé voulut lui céder sa place ; Alain fut reconnu pour ce qu’il était, et le pape ordonna qu’on attachât à sa personne deux clercs pour écrire sous sa dictée. » Dom Brial, après une étude approfondie des écrits d’Alain, pense que c’est en Angleterre qu’il faut chercher des traces de son existence ; il remarque que ses œuvres ne sont nulle part aussi multipliées qu’en ce pays, et, dans son opinion, c’est au docteur universel qu’il faut rapporter le passage suivant de Gervais, moine de Canterbury. « Herlewin, prieur de Canterbury, ayant résigné ses fonctions à cause de son grand âge, maître Alain, Anglais de nation, et depuis cinq ans novice dans cette église, lui fut donné pour successeur, le 6 août 1179. » Quant à l’objection que soulève la qualité d’Anglais, attribuée au personnage en question, dom Brial y répond en disant qu’il est possible qu’Alain soit né à Lille de parents anglais qui s’y seraient trouvés accidentellement, et qu’il ait passé ensuite en Angleterre. Le même Alain fut nommé, en 1186, a l’abbaye de Tewkesbury en Glocestershire. À partir de cette époque, l’histoire ne parle plus de lui. Dom Brial suppose qu’il quitta l’Angleterre pour se retirer à Citeaux, ou il termina sa carrière vers 1202. Les moines lui tirait l’épitaphe suivante :

Alanum brevis hora, brevi tumulo sepelivit,

Qui duo, qui septem, qui totum scibile acivit :

Scire suum moriens dare vel retinere nequivit.

Longtemps après, probablement au 15e siècle, on y ajouta ces quatre vers, destinés sans doute à consacrer par un monument authentique les fables qui alors avaient cours :

Lebeatis asecli contemptis rebus egens fit,

Inter converese, gregibus comiseus alendis.
Mille ducenteno nenageno quoque quarto,

Christo devotus, mortales exuit artus.

Les écrits d’Alain qui ont été publiés sont : 1° Anticlaudianus, sive de Officio viri boni et perfecti, poème moral portant aussi le titre d’Encyclopédie à cause des détails qui s’y trouvent sur la procédés et l’utilité des sciences et des arts. Cet ouvrage jouit d’une grande célébrité au moyen Âge ; il donna lieu à un grand nombre de commentaires dont les plus connus sont celui de l’Anglais Raoul de Long-Champ, resté manuscrit, et celui d’Adam de la Bassée, également manuscrit. Le poème fut imprimé à Bâle sans nom d’auteur, l’an 1536 ; à Venise, en 1582, et à Anvers, en 1625. Legrand d’Aussi a donné sur un manuscrit de la bibliothèque royale la notice d’une traduction libre de l’Anticlaudianus, en vers français, qu’il met beaucoup au-dessus de l’original latin[1]De Planctu nuturæ ad Deum, ou bien Enchiridion de rebus naturæ, satire contre les vices et la dépravation des hommes. 3° Doctrinate minus, ou le livre des paraboles, opuscule en vers élégiaques, imprimé à Lyon en 1491, 1492 et 1501, in-4o ; a Leipsick, en 1516, in-4o ; à Caen, à Rouen et à Paris, in-4o, sans date. 4° Doctrinale altum, ou le livre des sentences et des dits mémorables d’Alain. 5° Deux Proses rimées qui se trouvent dans l’Histoire de l’université de Paris de du Boulay. 6° Elucidacio super Canatica canticorum, Paris, 1540. 7° Une somme de Arte prœdicatoria. 8° Neuf sermons. 9° Un opuscule sur les sur Ailes des chérubins, ou explication allégorique d’un passage d’Isaïe. 10° Liber pœnitentialis, dédié à Henri de Sully, qui fut archevêque de Bourges depuis 1184 jusqu’en 1200. 11° De Fide catholica, ouvrage dirigé contre les hérétiques et dédié à Guillaume, seigneur de Montpellier. 12° De Arte seu Articulis catholicæ fidei, autre ouvrage de controverse adressé à un pape du nom de Clément. Dom Brial ne doute pas que ce ne soit Clément III, qui occupa le saint-siége de 1187 à 1191 ; publié par dom Bernard Pey. 13° Commentaire sur les prophéties de Merlin publié sous ce titre : Alani magni de insulis, dovt. univ., Explanationum in prophetiam Merlini Ambrosii, Britanni, libri septem, imprimé à Francfort, en 1603, vol. in-8o, précédé de la version latine des prophéties de Merlin, traduites de l’ancien breton par Geoffroii de Monmouth. L’objet de cet ouvrage était de démontrer que les grands événements qui s’accomplissaient alors en Angleterre étaient le réalisation des prophéties de Merlin. L’auteur s’y montre versé dans l’histoire des Bretons, des Saxons, des Anglais, des Normands et des Français ; son livre est utile à consulter particulièrement pour le règne de Henri II, roi d’Angleterre, nous lequel il fut écrit. 14° Si l’on admet avec dom Brial qu’Alain ait été prieur de Canterbury, il faut le re-

  1. dom Brial