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d’une liberté qu’il voulait détruire. Ce premier triomphe ayant augmenté sa confiance, il se considèra, par une présomption assez naturelle dans le fils d’un grand homme, comme appelé à succéder à Rodolphe dans toutes ses dignités ; et, sans attendre la décision de la diète, il s’empara des ornements Cette précipitation arrogante, et plus encore le spectacle des injustices qu’il venait d’exercer contre ses vassaux, fortifièrent les électeurs dans leur résolution de ne pas lui conférer une autorité dont il était si vraisemblable qu’il ferait un mauvais usage. Adolphe de Nassau fut élu ( coy. Adolphe). Albert témoigne d’abord le désir de s’opposer à cette nomination ; mais des troubles qui éclatèrent contre lui dans ses possessions de Suisse l’obligèrent à ajourner toute tentative de résistance. Il partit de Hanau, où il s’était fixé durant la diète, dans le vain espoir d’influer sur ses délibérations, et se rendit à marches forcées dans l’évêché de Constance, dont l’évêque, Rodolphe de Lauffenburg, était l’âme de la ligue formée contre lui. Il dévasta le territoire de cet évêque, rasa plusieurs places fortes, en réduisit quelques-unes en cendres, transporta les habitants d’une ville dans l’autre, et parvint, à force de rigueurs, à étouffer pour le moment cette insurrection. Craignant, au milieu de tant de guerres contre ses propres sujets, d’attirer encore sur lui les forces de l’Empire, Albert reconnut l’élection d’Adolphe, livra les ornements impériaux, et consentit à faire hommage de ses fiefs au nouvel Empereur. Une maladie violente, qui le mit au bord de la tombe, et dont il ne guérit qu’après qu’elle l’eut défiguré et privé d’un œil, rendit cette résignation plus nécessaire, et peut-être aussi moins douloureuse à un homme dont la souffrance avait affaibli l’orgueil ; mais il eut bientôt d’autres démêlés avec ses peuples d’Autriche et de Styrie, et surtout avec l’archevêque de Salzbourg, qui, sur le bruit de sa mort, avait fait une invasion dans ses États, et détruit une ville nouvellement bâtie sur ses frontières. Le duc de Bavière ayant paru vouloir embrasser la cause de cet archevêque, Albert conclut avec ce dernier une trêve, que des événements importants transformèrent ensuite en paix durable. L’empereur Adolphe. qui régnait depuis six ans, s’était aliéné tous les États de l’Empire, et même ceux des électeurs qui avaient concouru avec le plus de zèle à le porter sur le trône. Albert, informé de ce changement dans les esprits, mit tout en œuvre pour se concilier les nouveaux ennemis de son rival ; il adopta, dans son administration, des mesures plus douces ; ses procédés envers ses voisins furent plus équitables. La haine contre Adolphe se fortifia de la comparaison qu’on fit de ce prince avec Albert, devenu subitement souple, affable et modéré. Enfin, le 25 juin 1298. Adolphe fut déposé à la diète de Mayence, et Albert nommé à sa place ; mais il fallut que les armes confirmassent la sentence prononcée par la diète. Les deux compétiteurs, après s’être prodigué mutuellement les injures d’usage, les noms d’usurpateur et de révolté, se rencontrèrent à Gelheim, entre Worms et Spire. Albert avait des troupes de Souabe et d’Alsace, les forces des électeurs qui l’avaient nommé, et quelques auxiliaires envoyés à son aide par le roi de Hongrie ; Adolphe était soutenu par les électeurs de Bavière, de Cologne, et par plusieurs princes d’un rang secondaire. La chance semblait être en sa faveur ; mais Albert lui persuada, par de faux rapports, qu’il se retirait, abandonné d’une grande portion de son armée. Adolphe accourut, avec sa seule cavalerie, pour couper la retraite à son ennemi. Le fils de Rodolphe, qui avait formé le projet d’éteindre la guerre civile dans le sang de celui dont il avait fait prononcer la déposition, arma une troupe d’élite d’une espèce de poignards d’invention particulière, avec ordre d’en frapper les chevaux et de n’avoir pour but que de pénétrer jusqu’à l’endroit on se trouvait Adolphe ; ce moyen réussit ; la cavalerie de l’Empereur fut dispersée ; lui-même reçut une blessure à la tête, et son cheval fut tué sous lui. Il s’élança sur un nouveau cheval ; et, parcourant les rangs, la tête découverte, il se fraya un passage vers Albert. qui encourageait ses soldats. « Tu vas, s’écria-t-il en l’apercevant, quitter à la « fois la couronne et la vie. — Le ciel en décidera, « répondit Albert, en lui portant un coup de lance « au visage. » Adolphe tomba mourant, et les partisans d’Albert l’achevèrent. Victorieux et tout-puissant, Albert ne voyait plus de barrière entre lui et la dignité qu’il avait si longtemps ambitionnée ; les débris du parti d’Adolphe étaient sans force et sans chef ; toute résistance était impossible. Albert, pensant que le moment était venu de se montrer magnanime sans danger pour son ambition, se démit de tous les droits que la dernière élection lui donnait à la couronne. Son attente ne fut pas trompée : les électeurs le réélurent. Son couronnement eut lieu à Aix-la-Chapelle, le 24 août 1298, et la première diète qu’il réunit se tint à Nuremberg, avec une extrême magnificence ; les électeurs et le roi de Bohême le servirent à table ; son épouse fut reconnue reine des Romains, et il donna à ses fils, Rodolphe, Frédéric et Léopold, l’investiture de l’Autriche, de la Carniole et de la Styrie. Boniface VIII occupait alors la chaire de St.—Pierre ; ce pape, l’un de ceux qui poussèrent le plus loin les prétentions du saint-siége, contestait aux électeurs le droit de disposer de la dignité impériale, le pontife suprême de la chrétienté étant seul, disait-il, le véritable empereur et le légitime roi des Romains. L’élection d’Albert lui parut donc doublement illégale. Il se répandit en invectives contre ce prince, lui reprochant jusqu’à ses infirmités, et représentant sa victoire sur Adolphe comme un assassinat Albert lui ayant envoyé des ambassadeurs, Boniface les reçut, assis sur un trône, la couronne sur la tête, ceint de l’épée de Constantin, et prit, en leur répondant, le titre de vicaire général de l’Empire. Il adressa ensuite aux électeurs ecclésiastiques une circulaire, dans laquelle il leur ordonnait de sommer Albert de comparaître devant lui, pour y demander pardon au saint-siége, et pour subir la pénitence qui lui serait imposée. Il défendait aux États