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Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 1.djvu/416

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de l’Asie fut définitivement arrêtée, et il partit au printemps, 534 ans avant J.-C., avec 50,000 hommes de pied et 5,000 chevaux[1]. Alexandre était alors âgé de vingt-deux ans. Il mit vingt jours pour arriver à Sestos, où il traversa l’Hellespont. Parvenu à Ilium, il offrit un sacrifice à Minerve, oignit d’huile le cippe du tombeau d’Achille, et courut nu autour de ce monument, avec ses amis. Il le couronna ensuite de fleurs, et félicita Achille d’avoir eu, pendant sa vie, un ami comme Patrocle, et, après sa mort, un chantre tel qu’Homère. Il fit aussi des sacrifices aux mânes de Priam. Descendant d’Achille par sa mère, et combattant comme ce héros pour détruire un empire asiatique, il voulut conjurer la haine dont il pensait que l’ombre du monarque troyen devait être animée contre lui. En approchant du Granique, il apprit que plusieurs satrapes du roi de Perse l’attendaient de l’autre côté du fleuve avec 20,000 hommes d’infanterie et un pareil nombre de cavaliers. Parménion était d’avis de ne traverser le fleuve que le lendemain, dans l’espérance que, pendant la nuit, les ennemis se disperseraient. « Il serait honteux, repartit Alexandre, qu’après avoir traversé si facilement l’Hellespont, nous fussions arrêtés par un ruisseau. » Il prend aussitôt le commandement de l’aile droite, qu’il fait entrer dans le fleuve ; et, après avoir mis en fuite les barbares sur ce point, il court au secours de l’aile gauche, repoussée par Memnon de Rhodes, le plus expérimenté des généraux de Darius. Apercevant Mithridate, gendre de Darius, qui s’avançait à la tête d’une troupe de cavaliers, il pousse son cheval contre lui, et le tue d’un coup de lance. Au même instant, Rhœsacés vient l’attaquer par devant, et Spithridate, par derrière ; Rhœsacès, d’un coup de cimeterre, abat une partie de son casque, mais Alexandre le renverse d’un coup de lance, et Clitus coupe le bras de Spithridate, au moment où il le levait pour frapper Alexandre. Les Macédoniens, excités par l’exemple de tant de bravoure, mirent en fuite la cavalerie persane, et toute l’armée traversa le fleuve sans obstacle. Il ne restait plus que les Grecs à la solde du roi de Perse, qui, formés en phalange, se préparaient à se défendre. On les attaqua en même temps avec l’infanterie et la cavalerie ; ils furent taillés en pièces, a l’exception de 2,000, que l’on envoya dans la Macédoine comme esclaves[2]. Alexandre fit faire des obsèques magnifiques aux Macédoniens qui avaient péri, et accorda des privilèges à leurs pères et à leurs enfants. Il envoya aux Athéniens trente armures perses, pour être placées dans le temple de Minerve, avec cette inscription : Dépouilles enlevées aux barbares de l’Asie, par Alexandre, fils de Philippe, et les Grecs, à l’exception des Lacédémoniens. La plupart des villes de l’Asie Mineure, et Sardes elle-même, qui en était le boulevard, ouvrirent leurs portes au vainqueur. Milet et Halicarnasse firent plus de résistance[3]. Ce fut après ces conquêtes qu’Alexandre détruisit lui-même sa flotte, qui lui était devenue

  1. Et 60 ou 70 talents environ (moins de 100,000 fr.). Mais l’argent était facile à trouver, pour peu qu’il eut de succès. Ce qui faisait une infériorité réelle et terrible, c’était le chiffre si faible de l’armée (que les variantes les plus fortes ne peuvent élever à 40,000 hommes). Comment se fait-il donc que l’entreprise d’Alexandre ne fut pas une folie, et qu’elle eut, au contraire, de grandes chances en sa faveur ? C’est une question qu’on doit résoudre, sous peine de voir en Alexandre un aventurier heureux ; et on ne peut la résoudre qu’en donnant le tableau de l’empire médo-perse à cette époque. En voici les traits dominants. 1° Nul lien, nulle cohésion entre les provinces ; toutes les populations prêtes a changer indifféremment de maître ; grands, ou gouverneurs, ou rois vassaux, ne voyant dans la dislocation de l’empire que leur indépendance ou la formation de petites souverainetés pour eux. 2° Nulle armée sérieuse et permanente, nationale et exercée, sauf quelques corps d’élite, les peuplades braves (Ouxes, Kourdes, etc.) ou hostiles, ou vivant de la vie de bandits, et rançonnant le roi même à son passage ; des mercenaires, justement suspects, et dont les chefs, jalousés et surveillés, étaient, par cela même, paralysés et incapables de bien faire (Memnon le Rhodien, par exemple). 3° Le roi sans habitudes militaires. 4° Pas même de grands magasins d’armes et de munitions, pas même l’usage de bonnes armes. 5° Enfin un gouvernement de cour, et dès lors l’esprit de cour, l’intrigue, la brigue, l’horreur du vrai mérite, présidant aux choix les plus graves. Tout réels que fussent ces éléments de faiblesse au moment d’une lutte, il n’en est pas moins visible que cette faiblesse, à elle seule, ne pouvait faire le succès d’une invasion, et qu’indépendamment de la supériorité qu’avaient les Grecs, en général, par leurs armes, leur tactique, leur intelligence, leur nationalité, il fallait encore au petit prince qui attaquait une si vaste puissance, et un plan méthodique, sûr, conduit avec hardiesse, prudence, patience et activité, et du bonheur. Val. P.
  2. C’est le récit d’Arrien. Suivant Diodore, il y avait au Granique 100,000 hommes, dont 40,000 de cavalerie. Peut-être (en modifiant ce nombre qui serait de 120,000 hommes en tout, dont 90,000 seulement d’infanterie) arriverait-on près du vrai. L’armée des satrapes de l’Asie Mineure antérieure aura été de 400 ou 420.000 hommes (voilà Diodore). 40,000 seulement combattirent au Granique (Arrien est formel). Dans ces 40,000, figuraient les meilleures troupes, les troupes grecques à la solde de la Perse (encore Arrien) ; elles furent ou taillées en pièces, ou faites prisonnières (toujours Arrien). Ce qui resta, soit des combattants au Granique, soit des autres troupes des satrapes, n’était pas très-formidable, s’éparpilla et agit sans concert. Envisagée a ce point de vue, la bataille du Granique prend une face toute nouvelle : on en comprend toute l’importance ; on comprend aussi pourquoi Alexandre s’acharna tant contre les Grecs de Memnon (il savait que là était l’obstacle et le danger ; il savait aussi qu’après cet échec plus personnel, Memnon aurait et moins de forces à lui à manier, et voix moins haute dans le conseil des satrapes). — Ste-Croix n’a rien dit et rien vu de tout cela. Il se borne à prendre le chiffre d’Arrien, comme le chiffre le plus bas, dès lors le plus croyable (tandis qu’il serait incroyable, justement par cette faiblesse numérique). La tradition de Diodore ne lui fournit nulle réflexion ; il la traite avec le même mépris que la fable de Justin, qui met au Granique 600,000 Asiatiques. Val. P.
  3. Halicarnasse fut défendue par Memnon, qui (voir Arrien) fit preuve à cette occasion de tous les talents d’un excellent officier. — Ce serait ici le cas de dire enfin le plan de ce général a qui Darius eût du confier le commandement en chef, avec supériorité sur tous les satrapes (si toutefois il eût pu le faire, car les satrapes étaient à peu près maîtres dans leurs provinces ; et nul doute, suivant nous, que plusieurs d’entre eux, au reçu d’une telle nouvelle, n’eussent traité avec Alexandre, sous condition de garder leur satrapie). Memnon donc voulait ne point livrer de batailles, faire des campagnes de l’Asie Mineure un désert sans fourrages et sans grains, garder les places fortes et les défilés, couper par sa flotte toute communication avec la Grèce aux Macédoniens, qui n’eussent reçu ni vivres, ni recrues, ni argent, laisser ainsi Alexandre s’user entre le Taurus et la mer, vivant fort mal et s’aliénant les populations qu’il n’aurait pu ménager, etc., etc. On ne voit pas ce que, contre ce plan, exécuté dans toutes ses parties à la fois, aurait pu faire Alexandre ; et si l’égoïsme des satrapes ne se fût révolté à l’idée du ravage de leurs petits royaumes ; si Darius eût été le maître chez lui, il eût sans doute souscrit au projet de Memnon. — Pour Alexandre, dès ce moment se développe sa méthode si sûre de commencer par assurer sa base d’opérations, et d’être bien maître de toutes les côtes, de tout ce qui le tient en communication avec la Grèce ; et nous ne pouvons qu’admirer sa patience, son inaltérable fidélité et ses plans, encore plus que son activité et sa hardiesse. Val. P.