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Le discours que leur tint Alexandre n’ayant pu les apaiser, ce prince saisit lui-même douze des plus séditieux, les fait conduire au supplice, et, par des reproches exprimés avec courage et éloquence, il force les autres au repentir. Les vétérans n’hésitèrent plus alors à s’en aller, et plus de 40,000 partirent pour la Grèce, comblés d’honneur et de biens. On évalue à 300 millions les dons faits, à plusieurs reprises, par Alexandre à ses soldats, munificence sans exemple dans l’histoire. Il se rendait à Babylone, où l’attendaient les ambassadeurs de toutes les nations, et où tous les peuples venaient se prosterner devant le maître de la terre. En passant à Ecbatane, il perdit, presque subitement, son ami Éphestion, à la suite d’une orgie[1]. La mort de ce favori le plongea dans l’affliction la plus profonde, et il se porta a des excès de fureur et de rage. Selon quelques auteurs, il fit pendre le médecin Glaucias, parce qu’il n’avait pu guérir son ami ; mais Arrien révoque ce fait en doute. Résolu d’accorder les honneurs divins à Éphestion, Alexandre se proposait de dépenser 10,000 talents pour sa pompe funèbre et pour son tombeau ; mais tous ces grands préparatifs ne furent que de vains projets, et les artistes, les musiciens qu’il avait rassemblés au nombre de 5,000 pour célébrer les jeux funèbres de son favori, servirent pour ses propres funérailles. Retenu par de sinistres présages, il balança quelque temps a entrer dans Babylone. Les prêtres chaldéens, secondant les vues des satrapes prévaricateurs, avaient fait parler à leur gré l’oracle de Belus, et ils faisaient tous leurs efforts pour tenir Alexandre éloigné de Babylone, dans la crainte que ce prince ne les dépouillât de leurs richesses pour rebâtir le temple de Bélus. Alexandre erra aux environs de cette ville, plein d’incertitude. et livré à la plus ridicule superstition[2]. Anaxarque et d’autres philosophâtes l’ayant fait rougir de sa faiblesse, il la surmonte enfin ; mais a peine est-il rentré dans Babylone qu’il s’en repent, et s’emporte contre ceux qui le lui ont conseillé. Son palais se remplit de prêtres, de devins. Cependant il donne audience à un grand nombre d’ambassadeurs, parmi lesquels on distingue ceux de la Grèce. Les projets qu’il médite sont plus grands encore que tout te qu’il vient d’exécuter ; il veut avoir une flotte de mille navires, plus forts que les trirèmes ; faire creuser des ports et construire des arsenaux ; il veut se venger des Arabes qui ont refusé de se soumettre, subjuguer ensuite Carthage, la Libye et l’Ibérie ; enfin il veut tout envahir jusqu’aux Colonnes d’Hercule. Arrien pense qu’il ne se serait point arrêté, tant qu’il lui serait reste quelques régions à conquérir. l’orgueil qui, selon Bossuet, monte toujours, poussait ses desseins jusqu’à l’extravagance ; mais les longs rêves de l’ambition allaient s’évanouir ; le rôle éclatant et terrible qu’avait joué Alexandre touchait à sa fin. À peine rentré à Babylone, il meurt d’intempérance, l’an 324[3] avant J.-C. (le 29 thargelion), âgé d’environ 32 ans[4], au milieu des débauches et des dissolutions de toute espèce[5], après avoir vu mourir des mêmes excès la plus grande partie de ses courtisans ; il meurt un bout de onze jours de maladie ; et cet empire si vaste, que soutenait seule une main puissante, tombe avec lui, et devient un théâtre de guerres sans cesses renaissantes, une prois que s’arrachent et se partagent ses lieutenants. Plutarque combat par de fortes raisons les soupçons de l’empoisonnement d’Alexandre, attribué pur quelques historiens à Antipater, et même à Aristote. Le journal de sa maladie, qu’il rapporte, ainsi qu’Arrien, suffit pour prouver qu’elle n’eut pas d’autre cause que l’intempérance[6]. Il mourut sans désigner

  1. Aussi en 323. Éphestion n’aurait-il pas été empoisonné pour arrêter plus surement à la mort d’Alexandre ? Mourir d’avoir trop bu est fort singulier, à moins qu’on ne meure en quelques heures. Éphestion eut le temps de prendre des remèdes. puisque Glaucias lui en administra de mauvais ; et si Alexandre fit mettre Glaucias en croix, est-ce simplement parce que le médecin s’était trompé ? ─ On a omis dans l’article ; après la mort d’Éphrestion, une belle expédition d’Alexandre contre les Cosséens (habitants du Khousistan), peut-être en 324. Val. P.
  2. Voila ce qu’on lit chez les historiens. Mais voulant juger d’après les faits avérés, nous qui venons de reconnaître en Alexandre une âme si ferme, un sens si droit, une politique si habile, admettrons-nous ces superstitions comme personnelles au grand roi ? Ces présages sinistres, et qui retardaient son entrée, étaient-ce les prêtres qui les imaginaient pour l’arrêter, ou bien était-ce lui qui commandait de les proclamer pour justifier ses retards ? à notre avis, Alexandre se croyait en danger à Babylone, et ne voulut y mettre les pieds qu’après avoir organisé ce qu’il jugeait à propos pour sa sureté. Val. P.
  3. La date d’année est bonne. On a beaucoup flotté entre 324 et 323, et en ce moment 323 semble prévaloir. C’est à tort. Il manque la date du mois : c’est la fin de mai ou tout à fait le début de juin (2 juin), car c’était au 28 dæsius macédonien qu’on a par erreur identifié avec un 28 hecatombœen athénien (le calendrier macédonien, lunaire comme celui des Athéniens, n’ayant pas de mois embolismique comme celui-ci), et qu’il faut identifier au 29 thargelion de Plutarque. Cette date (29 th.) est aussi celle de la mort de Diogène, qui eut lieu, sinon le même jour que celle d’Alexandre, du moins vers le même jour, et au moment où il se rendait aux jeux olympiques. Or, on n’en célébra de jeux olympiques qu’en 324, non en 323. Une petite difficulté c’est que Démosthène, dit-on, prononça son discours contre Harpale sous Anticles, vers le temps de la mort d’Alexandre, et que tous les historiens mettent cette mort sous Hégésias, qui remplaça Anticles dans l’archontat. Cette contradiction apparente nous semble au contraire tout expliquer à merveille. Alexandre mourut sous Anticles, trente et un jours avant l’avènement d’Hégésias ; la nouvelle arriva dans Athènes sous Hégésias, et l’on s’habitua naturellement à identifier la mort d’Alexandre et l’archontat d’Hégésias. Val. P.
  4. 32 ans et 8 mois. Les historiens exacts sont d’accord sur ce point. ─ Ceux qui le font mourir en août 321 ne lui donnent que 32 ans (solaires) moins un mois (mais 32 ans 10 mois solaires).
  5. Il y a sans doute de l’exagération dans ce tableau : s’il est vrai qu’Alexandre, à cette époque, n’était pas sobre tous les jours, on peut se convaincre que jamais il ne s’était plus activement, plus noblement occupé d’organisation, d’administration, de préparatifs de tout genre, et à quelques orgies près, on pourrait le proposer pour modèle à tous les princes (voy. note 48.)
  6. Ce journal ne prouve qu’une chose, c’est que la maladie d’Alexandre ne fut d’abord qu’une irritation provenant soit de ses fatigues, soit des deux orgies chez Médou ; il ne prouve pas que le septième ou huitième jour on ne profita pas de son état pour l’empoisonner. Le bulletin du 9 surtout est très-remarquable et peut donner beaucoup a penser. Si d’ailleurs Alexandre fut empoisonné (non dans un festin, mais dans des médicaments), il est très-clair que ceux qui eurent action sur la rédaction des bulletins, et nous ne voyons pas quel médecin eût osé écrire autrement qu’il ne plaisait aux Ptolémées, si impatients de dépecer le nouvel empire. Somme toute, sans dire en aucune façon qu’Alexandre périt empoisonné. nous pensons que s’il s’était sauvé de cette maladie, il aurait eu bien de la peine à vivre longtemps encore. Les vaincus s’habituaient à lui et l’aimaient ; son mariage devait sans peu lui donner des héritiers ; son pouvoir se consolidait, puisque la conquête était finie et que l’organisation marchait à grands pas. Tout cela mettait au néant les rêves des ambitieux de l’armée : il fallait se hâter d’effectuer ce que n’avait pas fait le hasard, la disparition d’Alexandre, sous peine d’être à jamais simples généraux et satrapes soumis. Val. P.