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Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 1.djvu/425

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ALE

d’héritier. Quelques auteurs prétendent qu’interrogé par ses amis à qui il laisserait son empire, il répondit : « Au plus puissant ; » d’autres affirment qu’il ajouta : « Je prévois que ma mort sera célébrée par de sanglantes funérailles[1]. » après beaucoup de troubles et d’agitations, les généraux se décidèrent a reconnaître pour roi Aridée, fils de Philippe, et d’une courtisane de Thessalie[2], et ne partageront entre eux, sous le nom de satrapies, les provinces qui formaient alors l’empire macédonien. Antipater eut la Macédoine et la Grèce ; Ptolémée, fils de Lagus, l’Égypte ; Laomédon, la Syrie et la Phénicie ; Antigone, la Lycie, la Pamphilie et la grande Phrygie ; Cassander, la Carie ; Philotas, la Cilicie ; Léonatus, la petite Phrygie, jusqu’à l’Hellespont ; Méléagre, la Lydie ; Euméne, la Cappadoce et la Paphlagonie ; Pithon, la Médie ; Lysimoque, la Thrace. Les provinces les plus éloignées, depuis l’Assyrie jusqu’à l’Inde, furent laissées à ceux qui les avaient reçues d’Alexandre. Perdiccas, à qui ce prince avait donné son anneau en mourant, fut nommé premier ministre d’Aridée, trop jeune pour gouverner par lui-même[3]. D’après la dernière volonté d’Alexandre, on devait porter son corps dans le temple de Jupiter-Ammon ; mais Ptolémée s’en empara et le fit inhumer à Alexandrie dans un cercueil d’or[4]. On lui rendit les honneurs divins, non-seulement en Égypte, mais dans le reste du monde ; et tel fut l’ascendant de ce génie extraordinaire, que les peuples de l’Orient et de l’Occident le regardèrent comme un dieu. Parmi les historiens du vainqueur de l’Asie, les uns l’ont mis au rang des dieux par ses vertus, et les autres l’ont fait descendre, par ses vices, au commun des hommes. Ceux-ci veulent que la fortune ait tout fait pour lui, et ceux-la, qu’il ait tout fait pour sa fortune. Selon Montesquieu, ce fut pour étendre les limites de la civilisation qu’il entreprit de renverser toutes les barrières que la nature semblait avoir mises entre l’Europe et l’Asie. « Ce fut pour réaliser ce beau dessein, ajoute Montesquieu, qu’il résista a ceux qui voulaient qu’il traitât les Grecs comme maître, et les Perses comme esclaves : il ne songea qu’a unir les deux nations, et à faire perdre les distinctions du peuple conquérant et du peuple vaincu. Il abandonna, après les conquêtes, tous les préjugés qui lui avaient servi à les faire ; il prit les mœurs des Perses pour ne pas désoler les Perses, en leur faisant prendre les mœurs des Grecs… Il ne laissa pas seulement aux peuples vaincus leurs mœurs ; il leur laissa encore leurs lois civiles, et, souvent même, les rois et les gouverneurs qu’il avait trouvés… Il voulait tout conquérir pour tout conserver ; il respects les traditions anciennes, et tous les monuments de la gloire ou de la vanité des peuples… et, quelque pays qu’il parcourût, ses premières idées, ses premiers, desseins, furent toujours de faire quelque chose qui pût en augmenter la gloire et la puissance. » Ces considérations sur le conquérant macédonien n’ont pas paru à ses détracteurs dignes de la sagacité de Montesquieu, et l’opinion de M. de Ste-Croix, qui l’a traité avec plus de sévérité, a trouvé un assez grand nombre de partisans. S’il s’illustra par quelques vertus, par des actes de générosité, et par des vues profondes, il finit aussi par des excès de luxe, de prodigalité, de débauche, et même de cruauté, que l’histoire ne lui a point pardonnés. Son intempérance habituelle (Athénée et Justin rapportent qu’Alexandre s’enivra cinq jours de suite, et que huit jours après il en fit encore autant), ses débauches avec l’eunuque Bagous, le meurtre de Clitus, l’assassinat de Parménion, le supplice de Callisthènes, le sac de plusieurs villes indiennes, le massacre des brachmanes, sont des taches éternelles à sa mémoire[5]. Si, dans l’espace de dix ans, il fonda un empire aussi vaste que celui que les Romains élevèrent en dix siècles, la chute de ce même empire fut aussi prompte et aussi déplorable que sa naissance avait été brillante et rapide. Alexandre avait les traits réguliers, le teint beau et vermeil, le nez aquilin, les yeux grands et pleins

  1. Ce n’étaient point de vœux, c’étaient de prophéties. Val. P.
  2. On reconnut deux rois collègues, l’un incapable (Aridée, à peu près en état d’enfance, l’autre encore à naître, le fils dont peut-être Roxanne était enceinte (effectivement ce fut un fils, Alexandre Aigus). Cette double nomination fut un compromis entre deux opinions diverses qui voulaient chacune un roi unique, le roi à naître ou le roi crétin : c’était une chance de plus ouverte aux ambitions et aux prétextes de guerre que ce moyen terme. Ptolémée, plus france, avait ouvert auparavant l’avis d’un partage sans autre forme. Le partage n’eut pas moins lieu en fait, mais nominalement les généraux be furent d’abord que satrapes. C’est ce que nous appelons le partage de Babylone (remanié deux ans après à Trisparadis). Val. P.
  3. Le vrai titre de Perdiccas est plutôt celui de régent. Du reste, il délégua partie du pouvoir à quatre sous-régents, dont deux en Europe (Antipater et Cratère) et deux en Asie (Léonat et Méléagre). ─ Quant à la jeunesse d’Aridée, c’est une erreur. Val. P.
  4. Cette pompe funèbre très-dispendieuse, fit extrêmement d’honneur à Ptolémée ; et la possession de la tombe d’Alexandre fut comme un talisman qui, de longue main, lui assurait la royauté. Val. P.
  5. L’opinion dominante aujourd’hui sur Alexandre est celle dont nous venons de nous rendre l’organe. Il faudrait plutôt ajouter que retrancher a l’éloge de Montesquieu. Tout ce que l’on pourrait dire pour restreindre la gloire de ce grand prince, c’est que ses succès ne lui sont pas absolument personnels, et que la civilisation grecque en général, l’excellente organisation des troupes grecs par Philippe, l’éducation puisée pendant vingt ans dans la conversation de cet illustre père, et aussi les admirables leçons d’Aristote, préparèrent la réussite d’Alexandre. Ces observations sont justes : sans doute Alexandre n’est point de ces hommes qui se sont formés tout seuls, qui ont tout crée autour d’eux, qui ont tout improvisé ; mais il profita merveilleusement des précédents, des circonstances, et autant il est peu vrai de voir en lui un homme né de lui-mêle, autant il serait injuste de nier les hautes qualités qu’il eut à lui en propre. Il réunit surtout à nos yeux la triple gloire d’avoir toujours eu des vues hautes, humaines et civilisatrices, en dépit des étroits préjugés des Macédoniens, de ne s’être jamais endormi ou affaissé sous le succès (notes 48, 57, 79), et enfin de nous sembler au moment où il mourut, à la veille d’ajouter encore à sa gloire, à ses bienfaits et à la civilisation du monde. Sa mort fut certainement une des plus grandes calamités dont un vaste territoire ait eu jamais à gémir. P· OT.