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le Daghestan, la Géorgie, l’Imiréthie, la Gourilie, la Mingrélie, etc. À ce prix l’autocrate promit aide et secours à celui des fils du schah qui serait désigné pour successeur de son père. La domination russe s’étendit ainsi sans interruption de la mer Caspienne à la mer Noire. Des qu’il eut terminé cette importante affaire, Alexandre se rendit à Vienne, où il arriva avec le roi de Prusse le 23 novembre 1814. Le congrès s’ouvrit deux jours après. Manifestant sans déguisement dès le premier jour cet esprit d’envahissement et de conquête qu’il avait fait connaître à Paris, et qui, depuis Pierre le Grand, n’a pas cessé de caractériser la politique russe, il prit la haute main dans toutes les affaires dont s’occupa le congrès, et dont la plus importante était sans doute la disposition des territoires qu’avait possédés Napoléon hors des limites de la France. D’abord il déclara formellement que, ses troupes occupant le grand-duché de Varsovie, pour le lui reprendre il faudrait l’en chasser. Il envoya même aussitôt dans cette ville son frère Constantin, pour annoncer aux Polonais que leur existence serait conservée sous la protection de la Russie. Une proclamation publiée dans ce sens par le grand-duc fit encore craindre à l’Europe une nouvelle guerre ; et il fallut céder. Alexandre fut donc reconnu roi de Pologne ; et déjà il travaillait à la constitution qu’il se proposait de donner à cette contrée, en la réunissant à son empire. Quelques hommes prévoyants de son conseil voulaient qu’il en fit tout simplement une province russe, et qu’il ne lui laissât ni armée ni constitution nationale. D’autres personnes influentes, notamment le prince Czartoriski, son ancien ministre, le décidèrent à en agir autrement. Plein de zèle pour son ami le roi de Prusse, Alexandre voulut encore alors que ce prince eût la Saxe tout entière ; mais il rencontra dans ce projet une vive résistance de la part de plusieurs puissances, surtout de l’Autriche, et il fallut que Frédéric-Guillaume se contentât de la moitié des dépouilles du dernier et plus fidèle allié de Napoléon[1]. L’empereur d’Autriche ajouta Venise à son ancienne province du Milanais ; L’Angleterre agrandit l’électorat d’Hanovre, et elle fit établir en faveur de la maison de Nassau ce royaume des Pays-Bas, jeté si inopinément au milieu de l’Europe, et peut-être destiné pour longtemps encore à y causer de l’inquiétude et des divisions. Le congrès arrivait au terme de ses travaux, et l’empereur de Russie était sur le point de retourner dans ses États, lorsqu’on apprit le débarquement de Bonaparte à Cannes. Le czar se prépara sur-le-champ à la guerre. Il signa, le 13 mars, la fameuse déclaration portant que « Napoléon Bonaparte s’était placé hors des relations civiles et sociales, » et que, « comme ennemi et perturbateur du repos de l’Europe, il s’était livré à la vindicte publique ; » puis, le 25, un traité par lequel ses alliés et lui s’engagèrent à réunir leurs forces pour assurer l’exécution du traité de Paris et les décisions du congrès. Alexandre mit en mouvement contre la France une armée de 170,000 hommes ; mais elle ne put arriver qu’après la bataille de Waterloo. Le czar apprit à Heidelberg, où il se trouvait avec l’empereur François, la victoire décisive remportée par les Anglais et les Prussiens ; et, jugeant inutile de faire avancer la totalité de son armée, il n’ordonna de poursuivre sa route qu’au seul corps de Barclay, lequel, dans la distribution des quartiers d’occupation, obtint les pays d’entre Seine-et-Marne, et ceux que baignent la Meuse et la Moselle. l’arrivée d’Alexandre à Paris (11 juillet 1815) mit fin aux actes de violence exercés sur les monuments de cette capitale par les troupes alliées. Cependant, à cette époque, ce prince ne se montra pas aussi généreux que dans la première invasion. Témoin des transports avec lesquels les Bourbons avaient été accueillis en 1814, il revenait disposé à juger les Français avec plus de sévérité, et il pensa. comme ses alliés, que l’énergie et la mobilité d’un tel peuple devaient être réprimées et contenues. Comme eux donc il exigea des garanties et des indemnités. De là ce funeste traité du 20 novembre, qui accorda aux alliés près d’un milliard en numéraire, le droit d’occuper plusieurs de nos provinces pendant trois ans, et la possession définitive de quelques places. Cependant, il faut le dire, des projets plus funestes encore étaient près de se réaliser, et déjà les cartes étaient dressées pour un démembrement : ce fut Alexandre qui s’y opposa (voy. Richelieu) ; mais, vivement frappé de l’urgence des périls auxquels les débordements de la démocratie et de l’irréligion exposaient touts les trônes, il conçut alors le projet de la sainte alliance, qui fut réalisé par un acte que l’empereur d’Autriche et le roi de Prusse signèrent avec lui, le 26 septembre 1815. Le principal but de ce traité si nouveau dans l’histoire, et à la rédaction duquel ne furent pas étrangers Bergasse et la baronne de Krudner, était d’établir et de maintenir sur les bases invariables de la religion, de la justice et de la légitimité, la paix et l’ordre de choses existant parmi les nations chrétiennes[2]. On ne peut

  1. Tous ces arrangements furent évidemment le résultat de la force. Une preuve de l’inquiétude qu’inspirait dès lors la prépondérance russe en Europe, c’est qu’un traité secret, dont le prince de Talleyrand fut le négociateur et dont le but était de refouler les russes dans leurs âpres climats et de leur enlever la Pologne, fut conclu en février 1815, pendant le congrès de Vienne, entre la France, l’Angleterre et l’Autriche. L’empereur de Russie et son ministre étaient loin de soupçonner un tel procédé de la part de MM. de Talleyrand et de Metternich, et ils l’eussent peut-être toujours ignoré, si, le 19 mars, les ministres de Louis XVIII, trop pressés de fuir, n’avaient laissé ce traité aux Tuileries, où Napoléon, l’ayant trouvé, se hâta de le faire parvenir à l’empereur Alexandre, qui était alors à Vienne. L’autocrate a paru quelquefois depuis l’avoir oublié ; mais on a regarde la part que Talleyrand y avait eue comme l’une des causes qui l’ont fait tenir longtemps éloigné des affaires. On peut voir tous ces détails. et beaucoup d’autres encore, dans le recueil si curieux des Papiers tirés du portefeuille d’un homme d’État.
  2. « Au nom de la très-sainte et indivisible trinité

    « LL. LL. l’empereur d’Autriche, le roi de Prusse et l’empereur de Russie, par suite des grands événements qui ont signalé en Europe le cours des trois dernières années, et principalement des bienfaits qu’il a plu à la divine Providence de répandre sur les États dont les gouvernements ont placé leur confiance et leur espoir en elle seule. ayant acquis la conviction intime qu’il est nécessaire d’asseoir la marche à adopter par les puissantes dans leurs rapports mutuels sur les vérités sublimes que nous enseigne l’éternelle religion du Dieu sauveur ;

    « Déclarent solennellement que le présent acte n’a pour objet que de manifester à la face de l’univers leur détermination inébranlable de ne prendre pour règle de leur conduite, soit dans l’administration de leurs États respectifs, soit dans leurs relations politiques avec tout autre gouvernement, que les préceptes de cette religion sainte, préceptes de justice, de charité et de paix, qui, loin d’être uniquement applicables à la vie privée, doivent au contraire influencer directement sur les résolutions des princes et de guider toutes leurs démarches, comme étant le seul moyen de consolider les institutions humaines et de remédier à leurs imperfections. En conséquence, LL. MM sont convenues des articles suivantes :

    « Art. 1er. conformément aux paroles des saintes Écritures, qui ordonnent à tous les hommes de se regarder comme frères, les trois monarques contractants demeureront unis par les liens d’une fraternité véritable et indissoluble ; et se considérant comme compatriote, ils se prêteront en toute occasion et en tout lieu, assistance, aide et secours ; se regardant envers dans le même esprit de fraternité dont ils sont animés pour protéger la religion, la paix et la justice.

    « 2. En conséquence, le seul principe en vigueur, soit entre lesdits gouvernements, soit entre leurs sujets, sera celui de se rendre réciproquement service, de se témoigner par une bienveillance inaliénable l’affection mutuelle dont ils doivent être animés, de se considérer tous que comme membres d’une même nation chrétienne, les trois princes alliés ne s’envisageant eux-mêmes que comme délégués par la Providence pour gouverner trois branches d’une même famille, savoir : l’Autriche, la Prusse et la Russie ; confessant ainsi que la nation chrétienne, dont eux et leurs peuples font partie, n’a réellement d’autre souverain que celui a qui seul appartient en propriété la puissance, parce qu’en lui seul se trouvent tous les trésors de l’amour, de la science et de la sagesse infinie, c’est-à-dire Dieu, notre divin sauveur, Jésus-Christ, le verbe du Très-Haut, la parole de vie. LL. MM. recommandent en conséquence avec la plus grande sollicitude à leurs peuples, comme uniques moyen de jouir de cette paix qui naît de la bonne conscience, et qui seule est durable, de se fortifier chaque jour davantage dans les principes et l’exercice que le divin Sauveur a enseignés aux hommes.

    « 3. Toutes les puissances qui voudront solennellement avouer les principes sacrés qui ont dicté le présent acte, et reconnaîtront combien il est important au bonheur des nations, trop longtemps agitées, que ces vérités exercent désormais sur les destinées humaines toute l’influence qui leur appartient, seront reçues avec autant d’empressement que d’affection dans cette sainte alliance.

    « Fait triple et signé à Paris, l’an de grâce 1815, le 15 (26) septembre.

    « François, Frédéric-Guillaume, Alexandre.

    « Conforme à l’original, Alexandre.

    « À Saint-Pétersbourg, le jour de la naissance de notre Sauveur, le 25 décembre 1816. »