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Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 1.djvu/477

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ALF

et par là les droits politiques de la nation non moins assurés que nos droits civils et naturels ; la création d’une marine, de laquelle les Anglais datent leurs prétentions au domaine de l’Océan ; le commerce de l’Égypte, de la Perse, des Index, déjà ouvert à l’audace de leurs pilotes et à l’industrie de leurs négociants ; enfin, la fondation de cette illustre université d’Oxford et de sa bibliothèque : tels sont les bianfaits qui, toujours sentis, toujours présents, et devant, par leur nature, durer autant que l’Angleterre, y font et y feront bénir d’âge en âge le nom du grand et bon Alfred. Il n’eut pas une vertu, ne posséda pas un genre de connaissance, qu’il ne fit servir à la félicité de ses sujets. Cultivateur, architecte, géomètre aussi habile qu’on pouvait l’être alors, il leur apprenait à féconder leurs champs et à les enclore, à se bâtir des maisons plus solides et plus commodes, à construire des forts pour leur défense, et des temples pour leur culte. Il travaillait à orner leur esprit et à exciter leur émulation par des ouvrages d’histoire nationale ou étrangère, que tantôt il composait, et tantôt traduisait du latin. Il eut même recours à la poésie pour les enflammer davantage ; et, en lisant quelques-unes de ses productions historiques qu’on a eu le bonheur de conserver, on regrette d’autant plus vivement la perte de ses poëmes, cités dans les anciennes chroniques comme les meilleurs de son temps. Roi citoyen, il avait pour axiome favori, et il le consigna dans son testament, que les Anglais devaient être aussi libres que leurs pensées. Roi philosophe, il voulait que l’instruction fût un bien commun à tous ses sujets, punissait par des amendes les parents qui n’envoyaient pas leurs enfants aux écoles publiques, et proclamait dans ses lois « que, la raison et l’intelligence étant les signes privilégiés de l’espèce humaine, c’était la dégrader, c’était se révolter contre le Créateur, que d’ôter à sa plus noble créature l’exercice des facultés par lesquelles il a distingué l’homme de la bête. » Enfin, roi religieux, il fonda toutes les bases et de l’instruction et de la législation sur le christianisme, sur le respect pour les ministres comme pour les préceptes de l’Évangile, pour la hiérarchie comme pour le caractère de l’apostolat, depuis le chef suprême de l’Église jusqu’au dernier de ses pasteurs. Mais il gagna les cœurs par sa doctrine unie à sa vertu, et ne contraignit pas les consciences par le glaive ; en quoi sa religion fut plus éclairée, et sa grandeur plus parfaite que celle de Charlemagne. On a souvent comparée ces deux princes, qui vécurent à un siècle l’un de l’autre, et qui, pour le bonheur de l’humanité, auraient du être contemporains. Joignant tous deux à la valeur guerrière de grandes vertus civiles et religieuses, tous deux fidèles observateurs des lois, et généreux protecteurs des libertés nationales de leurs sujets, fondateurs des lettres et des sciences dans leurs empires respectifs, animés d’une ferveur égale pour la propagation de l’Église chrétienne, et pour le maintien de l’autorité apostolique de son chef, Alfred eut une piété douce comme son cœur, et un zèle juste comme ses lois : Charlemagne avait cru servir la cause de Dieu en répandant le sang des idolâtres, en armant des bourreaux ; Alfred instruisit des missionnaires. Le monarque français avait été l’orgueil de son armée et le héros de son siècle ; le souverain anglais se contenta d’être le libérateur de son pays, et le père de son peuple. « Au règne d’Alfred, a dit de nos jours lord Littleton, commencent l’histoire et la constitution anglaise. » L’an 900 vit finir ce règne, si fécond en vertus et en bonheur ; ce monarque adoré eut pour successeur Édouard, son fils aîné (voy. Édouard l’Ancien), à qui, par son testament, il recommanda de s’intituler : « Roi par la grâce de Dieu, par le consentement des seigneurs, et du peuple, etc. » Nous terminerons cet article, un peu étendu, mais auquel il faut en sacrifier beaucoup d’autres, quand on écrit pour instruire, par ce mot de Voltaire, aussi vrai que frappant : « Je ne sais s’il y a jamais eu sur la terre un homme plus digne des respects de la postérité qu’Alfred le Grand… l’histoire, qui d’ailleurs ne lui reproche ni défaut ni faiblesse, le met au premier rang des héros utiles au genre humain, qui, sans ces hommes extraordinaire, eut toujours été semblable aux bêtes farouches. » Au surplus, Voltaire s’est trompé en disant, et les éditeurs du dernier Dictionnaire historique se sont trompés en répétant que « ce prince bâtit beaucoup d’églises, mais pas un seul monastère. » Malmesbury, Léland, le Potychronicon, la Biographie britannique, tous les auteurs anglais disent, au contraire, que « non seulement il rebâtit presque tous les monastères détruits par la fureur des Danois, mais qu’il en construisit plusieurs et en améliora un plus grand nombre. » Il en faisait bâtir un à Winchester, lorsque la mort le surprit. Son corps ayant été déposé dans la cathédrale de cette ville, les chanoines se prétendirent troublés pendant les nuits par son esprit et par des gémissements, qui leur faisaient conclure que cette sépulture lui déplaisait. Par ordre de son fils, sa tombe fut transportée dans l’église de ce nouveau monastère, dont il n’avait pu compléter la fondation, et ses restes vénérables y ont repose en paix jusqu’à la destruction des monastères par Henri VIII. A cette époque, l’evêque de Winchester, Richard Fox, recueillit les ossements de tous les rois saxons de l’Angleterre, les enferma dans des coffres de cuivre inscrits du nom de chacun ; et, pour les préserver de toute profanation, les déposa dans l’intérieur d’un mur artistement construit, qui servait de clôture au presbytère de la cathédrale. Les ouvrages qu’on a eu le bonheur de conserver d’Alfred le Grand, outre le corps de lois qu’il rédigea, et qui a été publie en anglo-saxon par Guillaume Lombard, dans son Ἀρχαιονομια. Londres, 1568, in-4o, sont : 1° une traduction de l’Histoire ecclésiastique de Bède, imprimée à Cambridge, 1644, in-fol. 2° Une traduction de l’Histoire d’Orose, imprimée avec une version anglaise, Londres, 1773, in-8o. 3° Epistola ad Vulfsigeum