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ALI

La Porte, à la suite des services qu’il avait rendu dans cette campagne, lui conféra le pachalik de Tricala, en Thessalie, avec la charge de dervendgi-pacha (grand prévôt des routes) dans toute la Roumélie. Se trouvant ainsi chargé de veiller à la sûreté de la route de Constantinople à Janine, il saisit cette occasion pour tenir ouvertement un corps de troupes à sa solde, et le porta a 3 ou 4,000 hommes, presque tous Arnautes. Ce fut alors qu’il déploya toute son activité et son ardeur ; mais déjà l’on voyait que ce n’étaient pas seulement les brigands qu’il menaçait, et la Porte s’aperçut qu’elle aurait à redouter son ambition. Affermi dans son gouvernement, et voyant grossir ses trésors, il forma le projet de marchander le pachalik de Janina, qui, en le plaçant sur la frontière de l’Épire, le mettrait à portée de régner en maître sur les Albanais. Des dissensions sanglantes y avaient lieu entre des chefs rivaux. Ali, jugeant le moment favorable, leva des troupes, bat les beys consternés, qui dans le danger commun avaient réuni leurs forces ; il les contraint de se réfugier dans la ville, et vient camper sous ses murs avec une armée victorieuse. Là, il emploie les dons et les promesses pour décider un grand nombre de ses partisans à députer à Constantinople, afin de demander pour lui le pachalik de Janina. La Porte lui renvoie ses députés, avec ordre de licencier ses troupes et de rentrer dans son gouvernement. Sans se déconcerter, il falsifie, de concert avec ses créatures, le firman impérial, il convoque les beys aux portes de la ville, et leur en fait la lecture. Ce faux acte le créait pacha de Janina, et ordonnait qu’on reconnut son autorité à l’instant même. Les beys, frappés comme d’un coup de foudre, se dispersent, et Ali fait son entrée dans Janina aux acclamations du peuple. Là, il rassure les timides, promet à tout le monde protection, et aux beys restés dans la ville des honneurs et des richesses. Le nombre de ses partisans s’étant accru, il envoya aussitôt une nouvelle députation ai Constantinople, plus nombreuse que la première, et ne tarda pas à voir son usurpation revêtu du sceau de l’autorité légitime (1788). Cette dignité le plaçait au même rang que les grands de l’empire ottoman. Riche, puissant et redouté, il avait déjà pour appui ses deux fils, Véli et Moukhtar. Comprimant les beys, admettant les Grecs dans ses conseils, et trompant la multitude par des promesses fallacieuses, il se crut en mesure d’assouvir sa vengeance. C’était au pied de Tchornovo qu’il avait éprouve jadis la honte d’une défaite : il y marche, s’en empare, fait massacrer une partie des habitants, et vendre comme esclaves les enfants et les femmes ; enfin par ses ordres on rase la ville. Répandant ainsi la terreur dans toute la contrée, il contraignit plusieurs districts à se soumettre. Son ambition augmentant avec sa puissance, il conçut l’idée de fonder en Épire un État indépendant. À force d’intrigues et de corruption, il réussit à faire naître dans l’esprit du divan des soupçons contre les pachas dont il convoitait les dépouilles. Ibrahim, pacha de Bérat, pénétra ses desseins ; mais, n’osant l’attaquer à force ouverte, il l’arrête dans ses projets, en soulevant contre lui les Souliotes, tribu albanaise qui professait la religion grecque. C’était le seul peuple de l’Épire qui, par son esprit d’indépendance, soutint encore la réputation de l’ancienne Grèce. Ali, au printemps de 1790, les fit attaquer par 3,000 de ses soldats qui furent taillés en pièces. Dès le printemps de l’année suivante, les Souliotes sortirent de leurs retraites, et ravagèrent le pays voisin. Ali, s’étant mis à la tête de 10,000 Albanais, espéra les surprendre et les accabler, mais il ne fut pas plus heureux dans cette nouvelle attaque, bien qu’il la conduisit en personne : il éprouva une perte énorme dans la journée du 20 juillet. Alors il renonce aux conquêtes de vive force, et entre en négociation avec les chefs des montagnards, qui souscrivent à une trêve. Mais Ali ne faisait que masquer ses projets en s’armant de patience, vertu qu’il possédait au plus haut degré. Il s’appliqua surtout à amasser des trésors, accablant les Albanais de taxes ; mais d’un autre côté il pourvut à la sûreté des routes, et protégea le commerce. L’un des traits distinctifs de sa politique fut la tolérance religieuse. Il fortifia et embellit Janina, qui, située sur les bords d’un beau lac, se déploie sur le penchant et la base des coteaux qui la dominent : sa population mélangée s’élevait à plus de 50,000 âmes : c’était le centre de la puissance militaire d’Ali-Pacha. Attentif à tous les événements. il sut profiter, pour s’agrandir, de la révolte de Cara-Mustapha, pacha de Scodra dans la haute Albanie. Ayant reçu l’ordre de marcher contre ce rebelle, il obtint quelques avantages, et se rendit maître de plusieurs positions importantes. À cette guerre succédèrent les mouvements de Passwan-Oglou (voy. ce nom), qui leva l’étendard de la révolte sur les remparts de Vidin. l’empire ottoman, gouverné par Sélim III, prince faible et pacifique, semblait toucher à sa dissolution. L’esprit de révolte s’emparait successivement de tous les pachas. Plus habile, Ali ne songeait encore qu’a se fortifier et à étendre son autorité, lorsqu’un évènement extraordinaire vint changer la face des affaires. Le traité de Campo-Formio entre la France et l’Autriche ayant amené la destruction de la république de Venise (1797), la France s’empara des iles ioniennes, ainsi que de leurs dépendances de terre ferme ; et cette puissance fut ainsi portée jusqu’aux frontières d’Ali, peu rassuré par quelques démonstrations amicales de ses nouveaux voisins. Bonaparte, alors général en chef de l’armée d’Italie, envoya à Janina l’adjudant général Roza charge de sonder le pacha, et de le gagner à la cause de la France. Ali combla cet officier d’honneurs et de présents ; et, soupçonnant à son chef des vues sur la puissance ébranlée du croissant, l’astucieux pacha commença par lier quelques intrigues avec lui. Il lui dépêcha ensuite à son tour un agent confidentiel. La lettre qu’il remit à cet agent était extrêmement flatteuse ; elle séduisit Bonaparte, au point qu’il la fit insérer dans les journaux, et qu’il entra aussitôt en négociation avec Ali, se promettant bien d’en faire un utile instrument pour ses projets ultérieurs. Ali, voulant