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ALI

aussi tirer de cette alliance un avantage immédiat, sollicita la faveur de faire passer sa flottille dans le canal de Corfou, au mépris des traités précédents. Aucune protestation ne lui conta. Dans un de ses voyages au golfe Ambracique, il assura le commandant français de Préveza qu’il était le plus fidèle disciple de la religion des jacobins, et prenant le jacobinisme et ses excès pour une nouvelle religion, il voulut être initié au culte de la carmagnole. Par de tels moyens il obtint la permission de préparer son expédition au fond du golfe, et, mettant à la voile pendant la semaine sainte de l’année 1798, il surprit les bourgades de Nivitza et de Vasili, et soumit tous les villages de la côte. Ainsi établi sur les bords de la mer en face de Corfou, au milieu des tribus encore indépendantes de l’Albanie, il était en mesure de saisir tous les avantages que l’avenir pourrait lui présenter. Aux yeux des Français, il colora ses empiétements par le désir de se mettre en contact avec eux ; et quant aux Turcs, il sut leur faire comprendre que ses conquêtes n’avaient coûté la vie qu’à des chrétiens. D’ailleurs il paya au sultan un tribu pour chaque place qu’il avait conquise ; et il acheva de gagner les bonnes grâces du divan en proposant de se mettre lui-même à la tête du contingent des troupes albanaises qui devaient joindre le grand vizir, dans sa campagne contre Passwan-Oglou. La réputation d’habileté qu’il venait d’acquérir dans son expédition contre les chrétiens du golfe d’Arta, qu’il avait surpris et cruellement égorgés, lui fit donner le surnom d’Arslan, ou le lion, dans les firmans de guerre que lui adressa le divan. pour marcher contre le pacha de Vidin. Laissant le soin de son gouvernement à son fils Moukhtar, il se mit en marche avec 8,000 Albanais. Quarante pachas de l’Asie Mineure et de l’Europe, réunis pour réduire Passwan-Oglou, étaient campés devant Vidin, sous le commandement de Houcain-Pacha. Ali vint grossir cette imposante ligue, et ne se montra point au-dessous de sa réputation : témoin de la défaite du capitan-pacha et de la mort d’Alo-Pacha, qui périt dans les embûches du généralissime. il ne dut lui-mémé son salut qu’au sage parti de rester au milieu de ses Albanais et de ne jamais se rendre aux invitations du grand vizir. Les pachas réunis apprirent devant Vidin le débarquement de Bonaparte en Égypte. Ali, prévoyant que la guerre éclaterait entre la France et la Turquie, obtint sans peine l’autorisation de retourner à Janina, afin d’observer les événements dont il songeait à profiter. Revenu dans son pachalik, au lieu de répandre l’alarme, il se montra plus que jamais favorable aux Français ; mais en même temps il rappela ses troupes de Vidin, et en leva de nouvelles. Instruit de bonne heure que la guerre était inévitable entre la Porte et la France, et qu’un armement considérable de Turco-Russes se préparait à arracher les sept-îles à cette dernière puissance, il forma le plan de s’en emparer lui-même par ruse, et fit offrir son alliance aux généraux français, à la condition qu’ils. lui livreraient Ste-Maure, les postes de terre ferme, et qu’ils admettraient un corps de son armée dans Corfou, afin de concourir à sa défense. Mais soit que cette ouverture. parut un artifice, soit qu’elle se trouvât contraire. aux instructions des généraux français, il fut impossible de s’entendre. Ali se tourna alors vers Constantinople, et ce fut à cette époque qu’il proposa au divan de chasser les Français des places vénitiennes de terre ferme. Il reçut carte blanche pour agir et commença les hostilités par un trait de perfidie. Ayant invité à une conférence l’adjudant, général Roza, dans un bourg de la basse Albanie, il tire de lui, dans l’épanchement de la conversation, des informations utiles sur la situation de Corfou, et après le repas le plonge dans un cachot infect, comme un espion envoyé pour exciter une révolution en Épire. Levant alors le masque. il fait attaquer Butrinto et s’empare lui-même de Préveza ; et là, il fait prisonnier le général Lasalcette avec le reste de ses soldats, après un affreux carnage. Le sultan, pour récompenser l’heureux pacha, lui envoya le sabre et la pelisse d’honneur. La puissance d’Ali s’accrut avec sa renommée. Les Albanais, dont les succès avaient exalte le courage, occupèrent Butrinto, Préveza, Vonitza, et toute cette cête d’où ils dominaient le golfe d’Arta et le revers méridional des montagnes de Souli. Telle était déjà la réputation d’Ali, que l’amiral Nelson arrêtant sa flotte au milieu de la mer Égée, envoya un de ses officiers le complimenter sur la victoire de Préveza, et lui témoigner combien il eût désire descendre lui-même aux rivages de Nicopolis, pour venir embrasser le héros de l’Épire. Invité par les alliés à concourir au siége de Corfou, Ali parut bientôt a la tête de son armée sur le rivage de Playa, en face de Ste-Maure, dont il se serait emparé s’il n’eût été traversé par les Russes. Corfou pris et occupé par les alliés, il se vit contraint de retirer ses troupes de ses nouvelles possessions continentales, et il en conçut contre les Russes une haine implacable. De retour dans ses États, il en visita toutes les parties, et trouva l’ordre et la paix très-bien établis ; mais le repos ne pouvait convenir longtemps à son esprit inquiet et essentiellement guerrier. Il médita une nouvelle expédition contre les Souliotes, dont le nom seul inspirait la terreur dans toute l’Albanie. Il ne craignit pas de les attaquer à la tête de 12,000 homme mais il fut battu dans plusieurs rencontres, et forcé de se retirer. Suppléant à la faiblesse de ses armes par l’habileté de sa politique, il consentit à une trêve jusqu’au moment ou il se vit en mesure de resserrer ses ennemis dans Agia-Paraskevi leur dernière place ; et, après leur avoir fait subir toutes les horreurs d’un long siége, il contraignit les habitants, par une capitulation, d’abandonner cette ville. leur promettant du moins la vie sauve. Mais ils s’étaient à peine mis en marche, qu’il les fit poursuivre par 5,000 Albanais qui les massacrèrent (novembre 1803). Il rentra dans sa capitale, chargé de dépouilles. et trainant à sa suite les restes de cette malheureuse population dont il orna son triomphe. Attachant une grande importance a l’occupation de leurs montagnes, il résolut d’y placer le boulevard de l’Épire, et commença par y établir garnison. La