Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 1.djvu/491

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
475
ALI

auprès du divan. On vit alors ce même Ali, qui en 1798 avait su cajoler le conquérant de l’Italie, mettre beaucoup de prudence et d’adresse dans ses démarches pour renouer avec lui. Loin de repousser ses avances, Napoléon lui envoya des présents et lui offrit une couronne en Épire. De telles propositions étaient bien faites pour séduire Ali. Napoléon nomma consul général de France à Janina M. Pouqueville. Ce savant voyageur, qui avait déjà exploré la Grève, arriva à son poste en 1806, et eut sa première audience du vizir, qui le traita avec beaucoup d’égards. Dès lors il s’établit entre les deux ambitieux conquérants des relations très-intimes ; et ce fut par le crédit de la France auprès du divan qu’Ali obtint les pachalika de Lépante et de Morée pour ses fils Moukhtar et Véli. De son côté, il aida par son influence l’ambassadeur de France à Constantinople pour amener une rupture entre la Russie et la Turquie, épiant l’occasion de se remettre en possession des dépendances continentales des îles ioniennes. À peine eut-il appris l’invasion par les Russes des provinces turques ultra-danubiennes, qu’il vint occuper Préveza, Vonitza et Butrinto, et fit camper son armée sur le rivage de Playa. Il pressa alors vivement la France de lui fournir de l’artillerie et des ingénieurs, permettant de donner tant d’occupation aux Russes des sept Iles qu’ils seraient hors d’état d’inquiéter l’armée française de Dalmatie. Ses désirs furent accomplis au commencement de 1807 : il reçut plusieurs détachements d’artillerie avec des munitions considérables, et l’officier du génie Vaudoncourt resta dans ses États pour diriger les opérations défensives. Il est bien sûr qu’Ali n’avait alors d’autre but que de se servir de la puissance militaire de la France pour s’emparer des sept Iles ; mais les généraux et les agents français ne firent pas tout ce qu’il désirait, et il est évident que Napoléon, dont la politique ressemblait fort à la sienne, l’avait depuis longtemps deviné. Après de nouveaux succès contre la Russes. Napoléon les força de conclure la paix sur les bords du Niémen (juillet 1807). Cet événement mit le pacha de Janina dans une situation fort embarrassante, et il dut craindre de se voir abandonné et livré sans appui à la vengeance des Russes. le traité de Tilsitt ayant confirmé à la France la possession des îles Ioniennes, Ali fit partir George Jauce pour Venise, où Napoléon était attendu, et proposa au grand empereur, par cet émissaire, de se reconnaître au vassal de la France, à condition qu’on réunirait à l’Épire les iles Ioniennes, qui deviendraient une principauté dont il serait le chef. Ce message fut reçu par Napoléon avec toute la hauteur d’un conquérant superbe. Ali en conçut un profond ressentiment ; mais il jugea à propos de dissimuler. Cependant, peu de temps après, César Berthier, gouverneur de Corfou, ayant montré l’intention de lui faire restituer les villes vénitiennes de la côte, il méprisa les menaces de ce général, et parut se jeter ouvertement dans les bras de l’Angleterre. Déjà il avait eu une conférence secrète au milieu des ruines de Nicopolis avec le major Leake, et il entretenait une correspondance suivie avec le commandant des flottes anglaises dans la Méditerrané. Son but était de rétablir la pait entre la Turquie et la Grande-Bretagne. Mais les révolutions se succédaient à Constantinople avec tant de rapidité, depuis la chute de Sélim, qu’il était impossible d’amener le divan a aucune décision. Ce fut en vain que l’ambassadeur Adair se montra aux Dardanelles ; il ne put ni débarquer ni ouvrir des communications. Désespérant de réussir, il allait s’éloigner, quand il reçut d’Ali une lettre qui le pressait avec instance d’attendre les événements. Les Anglais connaissaient le crédit du pacha dans le divan ; ils cédèrent à cet avis, et par son influence la paix ne tarda pas à se conclure entre les deux puissances. La cour de Londres fut si reconnaissante de ce service qu’elle envoya au pacha un beau parc d’artillerie et plusieurs centaines de fusées à le Congrève Le major Leake, chargé de ce présent, fut aussi chargé d’apprendre aux troupes albanaises à se servir de ces nouvelles armes, et un résident en titre, M. Foresti ; partit à la cour de Janina, qui, visitée par les hommes les plus considérables de l’Angleterre, devint un foyer d’intrigues diplomatiques. On conçoit le courroux que dut éprouver Napoléon d’un pareil changement, Ce ressentiment augmenta encore par la perte qu’il fit à cette époque des iles de Zante, Céphalonie, Ithaque et Cerigo. La ruine d’Ali fut alors résolue dans le cabinet de St-Cloud ; et l’on décida qu’il serait en même temps attaqué par un corps ottoman, par une expédition française qui sortirait de l’ile de Corfou, et par l’armée de Dalmatie sous les ordres du maréchal Marmont. Mais la retraite forcée du Portugal par le maréchal Masséna, et les revers qui marquèrent la fin de cette campagne dans la péninsule, décidèrent Napoléon a y faire passer les troupes de Marmont. Ali fut peut-être sauvé par ce concours de circonstances, et l’heureux pacha n’eut plus à s’occuper que de sa vengeance contre le pacha de Berat, qui était aussi entré dans la ligue formée contre lui par les Français. Il se rendit maître de sa personne et le plongea au fond d’un cachot construit sous le grand escalier de son palais. Ce ne furent plus alors seulement des beys soldés, mais les pachas de la haute Albanie et tout ce que la Grèce continentale avait de chefs marquants, qui vinrent se prosterner devant le maître de Janina. Il ne lui restait plus a réduire que Moustafa, pacha de Delvino, la ville d’Argyro-Castron, et celle de Cardiki. Tel qu’un souverain, il dirigea de son cabinet cette nouvelle guerre, faisant trainer à la suite de ses troupes l’artillerie de montagne, des obusiers et des fusées à la Congrève tirées des arsenaux anglais de Malte et de Messine. On ne pouvait douter que de tels moyens ne jetassent l’épouvante parmi des peuples qui n’avaient encore d’autre stratégie que celle du moyen âge. Le pacha de Delvino et la ville d’Argyro-Castron se soumirent. Cardiki seule résista : sa défense fut opiniâtre ; mais la vengeance du conquérant fut horrible ; il fit massacrer toute la population de cette malheureuse cité ; et dans le même temps on égorgea par son ordre, dans leur prison, Moustafa et ses deux fils. Cependant les immenses préparatifs de Napoléon contre l’empire ruse entraînèrent la Porte dans le système français,