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ABB

tant : « qu’au roi seul appartiendrait la convocation des assemblées générales et le droit d’en n nommer le modérateur ; que les évêques ou leurs députés seraient modérateurs nés et perpétuels de tous les synodes diocésains ; que personne ne pourrait être ni excommunié ni absous sans leur approbation ; que ce seraient eux qui présenteraient à tous les bénéfices, dont aucun ministre de l’Évangile ne serait susceptible, sans avoir prêté le serment de suprématie et d’obéissance canonique ; qu’enfin la visite du diocèse serait partout une fonction attribué exclusivement aux évêques ou a leurs délégués, et qu’aucun conciliabule ne pourrait se tenir, aucune réunion se former pour exercer, prophétiser, etc., sans avoir pour modérateur l’évêque du territoire sur lequel on s’assemblerait. » Ce succès inespéré et toute la conduite d’Abbot en Écosse plurent tellement a Jacques Ier, qu’il résolut de ne plus rien décider en pareille matière, sans avoir consulté le chapelain de lord Dunbar. À quelque temps de là, ce prince convoque une assemblée du clergé, pour qu’elle eût à prononcer : Si le roi d’Angleterre pouvait légitimement secourir les états généraux de Hollande contre le roi d’Espagne ? Abbot était membre de cette assemblée, et l’un de ceux qui se faisaient le plus écouter. Jacques fut mécontent des opinions. Il ne savait comment se mettre d’accord avec lui-même. Outré dans sa théorie sur le droit divin des rois, et voulant dans la pratique secourir des sujets révoltés contre le leur, il reprochait tour a tour à son clergé de soutenir trop la royauté de fait, et trop la royauté de droit. Il avait proposé des questions, et il trouvait mauvais qu’on les examinât avant de les décider, dut-on les décider pour lui en définitive. De ces perplexités intérieures et de ces contradictions ouvertes, sortit une lettre écrite par le roi Jacques au docteur Abbot ; lettre peu connue hors de l’Angleterre, qui, même dans ce pays, n’a vu le jour que longtemps après la mort des personnages intéressés, mais dont l’authenticité est incontestable, et qui, par son étonnante singularité, ne peut manquer d’exciter l’attention de nos lecteurs. Elle était ainsi conçue : — « Bon docteur Abbot, je ne puis m’empêcher de vous faire savoir le jugement que je porte sur la conduite de votre assemblée. J’y suis doublement intéressé, et comme roi sur le trône (rex in solio), et comme une ouaille du troupeau dans l’Église (Unus gregis in Eccleaia). Tout ce que vous et vos confrères avez débité d’un roi de fait (expression, je suis bien aise de vous le dire, à laquelle se réduisent toutes celles employées dans vos canons) ne me regarde en rien. Je suis l’héritier direct et immédiat. La couronne m’appartient par tous les droits que vous pouvez articuler, le seul droit de conquête excepté. Enfin, mon avocat général vous a suffisamment expliqué ma pensée tant sur la royauté en elle-même que sur l’espèce de royauté qui réside en ma personne ; et je dois vous croire tous de son avis, puisque le langage qu’il vous parlait en mon nom n’a été contredit par aucun de vous. Mais ce dont je pense que vous êtes tous bien positivement instruits, c’est que mon seul, motif, en vous convoquant, a été de vous faire prononcer jusqu’à quel point, dans votre opinion, un roi chrétien et protestant peut aider une nation voisine à secouer le joug de son souverain naturel, pour cause d’oppression, de tyrannie, ou de tout autre grief, de quelque nom qu’il vous plaise de le qualifier. Du temps de la feue reine, ce royaume se crut parfaitement libre d’aider de ses conseils et de ses armes la cause de la Hollande ; et aucun de votre robe ne m’a jamais dit que personne s’en fût fait un scrupule. C’est seulement depuis mon arrivée en Angleterre que quelques-uns d’entre vous ont, comme vous ne l’ignorez pas, élevé quelques difficultés à cet égard ; et quoique j’aie souvent manifesté ce que je pensais du droit des rois sur leurs sujets, particulièrement au mois de mai dernier, dans la chambre étoilée, a l’occasion du pamphlet de Hale, cependant je n’ai jamais fait mention de ces nouveaux scrupules, jusqu’au moment ou je m’y suis vu forcé par les affaires de Hollande et d’Espagne. Le fait est que tous mes voisins me pressent de concourir à un traité entre cette Espagne et cette Hollande. Notre honneur national ne souffrira certainement pas que les Hollandais soient abandonnés, surtout après tant de trésors et de sang prodigués en leur faveur. Je me suis donc déterminé à convoquer tout mon clergé, non pas tant, pour satisfaire ma propre conscience, qui est en pleine sécurité, que pour démontrer à tout ce qui nous environne que j’ai pu, en bonne justice, épouser aujourd’hui la cause hollandaise. Je n’avais aucun besoin réel de cette convocation, et vous me forcez à vous dire que je voudrais n’y avoir jamais songé. Vous avez fouillé trop avant dans ces mystères de l’empire, dont tous les rois se réservent à eux seuls de connaître. Vous aurez beau désormais professer aversion pour la doctrine qui fait Dieu l’auteur du péché ; vous l’avez frisée de très-près, vous avez bronché sur le bord de l’abime, en disant, à propos de la question actuelle, que même l’autorité d’un tyran est l’autorité de Dieu, et doit être représentée comme telle. Si le roi d’Espagne allait en revenir à réclamer encore son vieux droit pontifical sur mes États, je vois qu’il me faudrait chercher d’autres défenseurs que vous contre ses prétentions ; car vous avez prononcé, d’avance que s’il était vainqueur, son autorité deviendrait celle de Dieu. Je n’ai pas le temps, monsieur le docteur, de vous en dire davantage sur cette controverse de théorie. Mes ordres vous seront notifiés incessamment par mon avocat général. Jusque-là, si vous m’en croyez, vous ne mettrez plus rien du votre dans cette discussion. C’est une arme à double tranchant, ou plutôt c’est cette lance qui guérissait d’un côté, mais qui blessait de l’autre. Sur ce, bon docteur Abbot, je vous recommande la protection de Dieu, et demeure toujours votre bon ami, Jacques, roi. » Après avoir cité en entier cette lettre, qui est sans doute la circonstance la plus intéressante de la vie d’Abbot, il nous suffira de dire qu’ayant passé rapidement par