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proverbes, dont la plupart s’emploient encore dans la conversation familière. Une troisième pièce contient des instructions pour un jeune damoiseau, nom que l’on donnait aux enfants des seigneurs et des chevaliers : il y a peu de conseils solides dans cette instruction, mais l’on y trouve des détails précieux sur les mœurs du temps, et quelques aperçus qui vont de la finesse ; ces détails sur les vêtements, les manières, se lisent en plus grand nombre encore dans les leçons qu’il donne à une demoiselle de qualité, qui était au service d’une grande dame ; et, quoique ces conseils ne puissent convenir aujourd’hui qu’à une femme de chambre, on est bien aise de voir qu’a quelques nuances près, les usages sont toujours les mêmes. quatre poëmes annoncent un homme qui a l’habitude du monde, et le défaut trop ordinaire aux poëtes, celui de ne pas savoir se borner. P-x.


AMANT. Voyez Saint-Amant.


AMAR (J.-P.), l’un des hommes les plus exaltés et les plus cruels d’une époque où il y eut tant d’exaltation et de cruauté. était né à Grenoble vers 1750, dans une famille estimé et jouissant de quelque fortune. Devenu avocat au parlement et trésorier de France[1], il semblait n’avoir d’autre destinée que celle d’un vie paisible dans l’ordre de choses existant. Lorsque la révolution éclata, il parut assez bien comprendre sa position et en blâma hautement les excès ; mais lorsqu’il vit le mouvement révolutionnaire se développer avec plus d’intensité et de force, il changea brusquement de système et se livra sans réserve à toutes les déclamations, à tous les lieux communs de l’époque. Il réussit ainsi à se faire nommer député à la convention nationale par le département de l’Isère (septembre 1792). Son début dans cette assemblée fut une dénonciation contre les aristocrates, les prêtres et les nobles du département du Bas-Rhin. Il se montra dans le procès de Louis XVI un des ennemis les plus acharnés de ce prince ; et après avoir combattu Lanjuinais, qui contestait à la convention le droit de le juger, il vota pour la mort, sans appel et sans sursis. Dans la séance 21 janvier, au moment même où s’exécutait la terrible sentence, non loin de la tribune où parlait Amar, il demanda l’arrestation de tous ceux qui tiendraient des discours suspects. Dans la séance du 10 mars suivant, il appuya la création d’un tribunal révolutionnaire proposée par Lindet, et dit que cette méthode pouvait seule sauver le peuple. Le 21 mai, il déclara hautement que Kellermann, qui venait d’être nommé au commandement de l’armée des Alpes, avait perdu la confiance des bons citoyens, et plus tard il dit qu’il fallait faire tomber la tête de ce général infâme. Ou conçoit que de pareils discours lui acquirent de l’influence dans une telle assemblée. Contre l’usage, il fut envoyé commissaire dans son propre département, et longtemps avant la loi des suspects, il y fit arrêter un grand nombre de suspects, même dans sa famille. Ayant eu avec Merlino une mission semblable dans le département de l’Ain, il y usa de la même rigueur, et en peu de jours cinq cents personnes furent emprisonnées par ses ordres. On n’était point encore accoutumé dans toutes les parties de la France a de pareilles iniquités, et les habitants du département de l’Ain crurent qu’il leur suffirait d’en informer la convention nationale pour que cette assemblée y mit un terme. Une députation. lui fut envoyée, et, dans la séance du 19 mai 1793. cette députation vint exposer à la barre que des vieillards, des femmes et des enfants étaient entassés dans des cachots, sans discernement et sans motifs ; qu’une femme qui n’avait jamais eu d’enfants avait été emprisonné pour avoir fait passer des secours à son fils émigré… La président répondit froidement que les devoirs de la convention étaient de venger la droits de l’homme. Sur le rapport de Phelippeaux, la pétition fut renvoyée au comité de sûreté générale [2], et quelques jours plus tard Amar était membre de ce même comité ; et l’ex-député Populus, qui avait été l’orateur de cette députation, porta sa tête sur l’échafaud ! (Voy.. Populus.) Ce ne fut cependant qu’après la chute de la Gironde qu’Amar acquit une grande influence. Il s’était montré un des plus ardents à combattre ce parti ; après sa défaite, il fut encore un des plus acharnés à le poursuivre. Ce fut lui qui fit décréter d’accusation Buzot, Duprat, Mainvielle ; et ce fut encore lui qui, le 3 octobre, se chargea, au nom du comité de sûreté générale, de proposer un pareil décret contre quarante et un de ses collègues, Vergniaux, Guadet, etc. Le long rapport qu’il fit pour demander ce décret est un monument d’absurdités et d’horribles mensonges. Des députés qui, par tous leurs discours et toutes leurs actions, avaient amené le renversement de lat monarchie, l’établissement de la république, y furent présentés comme des royalistes, des vendéens, des agents de l’Angleterre, de tous les rois de l’Europe, même de Louis XVI, que la plupart d’entre eux venaient de condamner

  1. Il avait acheté cette charge, qui donnait la noblesse, peu de temps avant la révolution
  2. Cette pétition fut imprimé à Paris par Froullé, in-8o de 48 pages. Amar écrivait le 20 avril au directoire du département de l’Ain : « Tout ce que des détenus pour cause de suspicion peuvent dire pour se justifier, et rien, ce doit être de même. Il n’y a ni procés, ni formalités à observer pour les séquestrer. Le salut public, les circonstances, nous déterminent à vous interdire toutes enquêtes, etc. » Amar et Merlino avaient ordonné et fait exécuter cinq cents arrestations, et ils écrivaient le 16 mai aux administrateurs du département : « S’il nous restaient quelques regrets, ce serait ne pas avoir doublé la mesure. Vous verrez incessamment que la convention, loin de faire droit à votre adresse, rendra un décret qui vous obligera à rechercher jusqu’aux moindre suspicions. » En même temps, ils prirent un arrêté portant, art. 2 : « Toutes personnes dénoncées par six citoyens pour fait d’incurisme seront inscrites sur la liste des notoirement suspectées et regardées comme complice des révoltés de la Vendée. » Tel était le langage, et telle était l’horrible exaltation d’Amar. Il prétendait, comme on l’a dit aussi nouvellement, que la légalité tuait, qu’on ne pouvait appliquer plusieurs articles de la déclaration des droits de l’homme, entre autres celui qui veut que nul ne soit inquiété, etc. ; et celui qui déclare libres les opinions religieuses ; et celui qui porte qu’un prévenu sera interrogé dans les vingt-quatre heures de sa détention. « Nous nous opposerons, écrivait-il, à ce que nos ennemis profitent des actes de bonté, de justice et de clémence consignés dans nos lois. Le directoire ignore sans doute que les mots de ralliement de nos ennemis du dedans sont le bon Dieu et le paradis, etc., etc. » V-YK