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qui a de la nouveauté, de l’importance, de l’avenir On voulut d’abord ne voir, dans les attractions et les répulsions des courants, qu’une modification à peine sensible des attractions et des répulsions électriques ordinaires, connues depuis le temps de Dufay. Sur ce point, les réponses de notre confrère furent promptes, décisives. Les corps semblablement électrisés se repoussent ; les courants semblables s’attirent. Les corps inversement électrisés s’attirent ; les courants inverses se repoussent. Deux corps semblablement électrisés s’écartent l’un de l’autre, dès le moment qu’ils se sont touchés ; deux fils traversés par des courants semblables, restent attachés comme deux aimants, si on les amène au contact. Aucun subterfuge au monde n’aurait pu résister à cette argumentation serrée. Une autre classe d’objectionneurs embarrassa plus sérieusement notre confrère. Ceux-ci étaient en apparence charitables : à les en croire, ils appelaient de tous leurs vœux, mais sans espoir, la solution d’une grande difficulté. Ils souffraient sincèrement, disaient-ils, en voyant si promptement s’évanouir la gloire dont ces nouvelles observations auraient entouré le nom d’Ampère ! L’insurmontable difficulté, voici à très-peu près comment on la formulait : Deux corps qui, séparément, ont la propriété d’agir sur un troisième, ne sauraient manquer d’agir l’un sur l’autre. Les fils conjonctifs, d’après la découverte d’Œrsted, agissent sur l’aiguille aimantée ; donc, deux fils conjonctifs doivent s’influencer réciproquement ; donc, les mouvements d’attraction ou de répulsion qu’ils éprouvent losqu’on les met en présence, sont des déductions, des conséquences nécessaires de l’expérience du physicien danois ; donc, on aurait tort de ranger les observations d’Ampère parmi les faits primordiaux qui ouvrent aux sciences des voies entièrement nouvelles. L’action est égale à la réaction ! Il y avait, dans la phraséologie cité, un faux air de ce principe incontestable de mécanique qui séduisit beaucoup d’esprits. Ampère répondait en posant à ses adversaires le défi de déduire des expériences d’Œrsted, d’une manière un tant soit peu plausible, le sens de l’action mutuelle de deux courants électriques ; mais quoiqu’il mît beaucoup de vivacité dans sa demande, personne ne s’avoua vaincu. Le moyen infaillible de réduire au silence cette opposition passionnée, de saper ses objections par la base, était de citer un exemple où deux corps qui, séparément, agiraient sur un troisième, n’exerceraient, néanmoins, aucune action l’un sur l’autre. Un ami d’Ampère fit remarquer que le magnétisme offrait un phénomène de ce genre. Il dit aux bienveillants antagonistes du grand géomètre : Voilà deux clefs en fer doux. Chacune d’elles attire cette boussole : si vous ne me prouvez pas que, mises en présence l’une de l’autre, ces clefs s’attirent ou se repoussent, le point de départ de toutes vos objections est faux. Dès ce moment, les objections furent abandonnées, et les actions réciproques des courants électriques prirent définitivement la place qui leur appartenait, parmi les plus belles découvertes de la physique moderne. Une fois sorti des questions d’originalité, de priorité, toujours plus pénibles par ce qui est sous-entendu que par ce qu’on dit ouvertement, Ampère chercha avec ardeur une théorie claire, rigoureuse, mathématique, qui comprît dans un lien commun les phénomènes électro- dynamiques, déjà à cette époque très-nombreux et très-variés. La recherche était hérissée de difficultés de tout genre. Ampère les surmonta par des méthodes où brille à chaque pas son génie. Ces méthodes resteront comme un des plus précieux modèles dans l’art d’interroger la nature, de saisir au milieu des formes complexes des phénomènes, la loi simple dont ils dépendent. Éblouies par l’éclat, la grandeur, la fécondité de la loi de l’attraction universelle, cette immortelle découverte de Newton, les personnes peu au courant des connaissances mathématiques s’imaginent que, pour faire rentrer ainsi les mouvements planétaires dans le système de l’attraction universelle, il a fallu surmonter des obstacles mille fois supérieurs à ceux que rencontre le géomètre moderne quand, lui aussi, il veut, à l’aide du calcul, suivre dans toutes leurs ramifications les divers phénomènes découverts et étudiés par les physiciens. Cette opinion, quelque générale qu’elle soit, n’en est pas moins une erreur. La petitesse des planètes, si on les compare au soleil, l’immensité des distances, la forme à peu près sphérique des corps célestes, l’absence de toute matière capable d’opposer une résistance sensible dans les vastes régions où les orbites elliptiques se développent, sont autant de circonstances qui simplifiaient extrêmement le problème, et le faisaient presque rentrer dans les abstractions de la mécanique rationnelle. Si, au lieu de mouvements de planètes, je veux dire de corps très-éloignés pouvant être censés réduits à de simples points, on n’avait eu pour guide que les phénomènes d’attraction de polyèdres irréguliers, agissant l’un sur l’autre à de petites distances, les lois de la pesanteur universelle resteraient peut-être encore à découvrir. Ce peu de mots suffira pour faire entrevoir les obstacles réels qui rendent les progrès de la physique mathématique si lents ; on ne s’étonnera plus d’apprendre que la propagation du son ou des vibrations lumineuses, que le mouvement des ondes légères qui rident la surface d’un liquide, que les courants atmosphériques déterminés par des inégalités de pression et de température, etc., etc., sont beaucoup plus difficiles à calculer que la course majestueuse de Jupiter, de Saturne ou d’Uranus. Parmi les phénomènes de la physique terrestre, ceux contre lesquels qu’Ampère allait lutter étaient certainement au nombre des plus complexes. Les attractions, les répulsions observées entre des fils conjonctifs, résultent des attractions ou des répulsions de toutes leurs parties. Or le passage du total à la détermination des éléments nombreux et divers qui le composent, en d’autres termes, la recherche de la manière dont varient les actions mutuelles de deux parties infiniment petites de deux courants, quand on change leurs distances et leurs inclinaisons relatives, offrait des difficultés inusitées. Toutes ces difficultés ont été vaincues. Les quatre états d’équilibre à l’aide desquels l’auteur a débrouillé