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les phénomènes s’appelleront les lois d’Ampère, comme nous donnons le nom de lois de Képler aux trois grandes conséquences que ce génie supérieur déduisit des observations de Tycho. Grâce aux efforts de l’illustre académicien, la loi du carré des distances, la loi qui régit les mouvements célestes, la loi que Coulomb étendit aux phénomènes d’électricité de tension, et même, quoique avec moins de certitude, aux phénomènes magnétiques, est devenue le trait caractéristique des actions exercées par l’électricité en mouvement. ─ Dans toutes les expériences magnétiques tentées avant la découverte d’Œrsted, la terre s’était comportée comme un gros aimant. On devait donc présumer qu’à la manière des aimants elle agirait sur des courants électriques. L’expérience cependant n’avait pas justifié la conjecture. Appelant à son aide sa théorie électro-dynamique, et la faculté d’inventer des appareils qui s’était révélée en lui d’une manière si éclatante, Ampère eut l’honneur de combler une l’inexplicable lacune. Pendant plusieurs semaines, les savants nationaux et étrangers purent se rendre en foule dans son humble cabinet de la rue des Fossés-Saint-Victor, et y voir avec étonnement un fil conjonctif de platine qui s’orientait par l’action du globe terrestre. Qu’eussent dit Newton, Halley, Dufay, Æpinus, Franklin, Coulomb, si quelqu’un leur avait annoncé qu’un jour viendrait, où, à défaut d’aiguille aimantée, les navigateurs pourraient orienter leur marche en observant des courants électriques, en se guidant sur des fils électrisés ! L’action de la terre sur un fil conjonctif est identique, dans toutes les circonstances qu’elle présente, avec celle qui émanerait d’un faisceau de courants ayant son siége dans le sein de la terre, au sud de l’Europe, et dont le mouvement s’opérerait comme la révolution diurne du globe de l’ouest à l’est. Qu’un ne dise donc pas que les lois des actions magnétiques étant les mêmes dans les deux théories, il est indifférent d’adopter l’une ou l’autre. Supposez la théorie d’Ampère vraie, et la terre, dans son ensemble, est inévitablement une vaste pile voltaïque, donnant lieu à des courants dirigés comme le mouvement diurne ; et le mémoire où se trouve ce magnifique résultat va prendre rang, sans désavantage, à côté des immortels travaux qui ont fait de notre globe une simple planète, un ellipsoïde aplati à ses pôles, un corps jadis incandescent dans toutes ses parties, incandescent encore aujourd’hui à de grandes profondeurs, mais ne conservant plus à sa surface aucune trace appréciable de cette chaleur d’origine. ─ On a prétendu que toutes ces belles conceptions d’Ampère furent accueillies froidement ; on a dit que les géomètres et les physiciens français s’étaient montrés peu enclins à les admettre ou même à les étudier ; que l’académie, à l’exception d’un seul de ses membres, dominée par des préventions refusa longtemps de se rendre à l’évidence. Ces reproches sont arrivés au public par des organes éloquents et éminemment honorables ; il n’est donc pas possible de les laisser sans réponse. Les expériences d’Ampère, à leur apparition, furent l’objet de critiques sévères déjà citées dans cet article, et bientôt après, d’une admiration universelle. Quant aux calculs compliqués et savant, aux déductions théorique si délicates dont le lecteur entrevoit sans doute à présent l’immense portée, il ne pouvaient guère avoir que les géomètres pour juges compétents et éclairés ; or, est-il juste de dire que les géomètres français firent défaut à l’illustre savant national, lorsque, bien près de la naissance de l’ électrodynamisme, on trouve Savary complétant un point très-important de cette théorie ; lorsque M. de Louivile s’attachant à en simplifier les bases ; à les rendre plus rigoureuses ; lorsque, dans la rédaction des parties les plus difficiles de son grand mémoire, Ampère a M. Duhamel pour collaborateur empressé ? Est-il vrai d’ailleurs que la formule d¦{Ampère ne présentât aucune circonstance dont les géomètres pussent justement s’étonner ? Ceux qui avaient fait le plus fréquent usage des théories newtoniennes ne devaient-ils pas être inquiets en voyant des lignes trigonométriques, relatives aux inclinaisons respectives des éléments infiniment petits des courants électriques, dans l’expression générales des actions mutuelles de ces éléments ? Quand de nouveaux phénomènes paraissent sortir si complètement des voies connues, quelque hésitation n’est-elle pas naturelle ? Cette hésitation n’eut rien d’extraordinaire, d’exception ou d’outré de la part des savants qui l’éprouvèrent. Peu d’années auparavant, les ondes lumineuses transversale de Fresnel avaient soulevé les mêmes doutes, les mêmes incertitudes, et chez les mêmes personnes, quoiqu’elles semblassent une conséquence plus évidente encore, une traduction plus directe, plus immédiate, plus facile à vérifier, des faits d’interférence que présentent les rayons polarisés. En thèse générale, ne nous plaignons pas du culte que vouent ordinairement les hommes aux idées sous l’action desquelles leur intelligence s’est développé. En pareille matière, il est naturel, il est juste, il est moral de ne changer qu’à bon escient. Envisagées du point de vue scientifique, les critiques, les difficultés de toute nature dont on accable si souvent les novateurs ont une utilité réelle. elles réveillent la paresse, elles triomphent de l’indolence ; il n’est pas jusqu’à la jalousie qui, avec sa cruelle, sa hideuse perspicacité, ne devienne une cause de progrès. On peut s’en fier à elle de la découverte des lacunes, des taches, des imperfections que l’auteur, même le plus soigneux, laisse inévitablement échapper. Le contrôle qu’elle exerce, pour qui ne dédaigne pas d’en profiter, vaut cent fois celui du meilleur ami. On ne lui doit sans doute aucune reconnaissance, puisque son lot est de rendre service sans le vouloir ; mais ce serait, d’autre part, une faiblesse, que de s’appitoyer outre mesure sur les ennuis qu’elle suscite aux hommes de génie. Gloire et tranquillité d’esprit marchent rarement de compagnie ! Celui à qui il faut une grande place dans le monde matériel ou dans le monde des idées doit s’attendre à u rencontrer pour adversaires les premiers occupants. Les petites choses et les petits esprits ont seuls le privilège de trouver à point nommé de petites cases dont personne ne songe à leur disputer la possession. ─ Le besoin d’abréger ne saurait nous dispenser de