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ANA

Anacréon, se couronnant de roses, chantait l’amour, s’enivrait, et s’inquiétait peu des biens de la fortune. On prétend même qu’ayant reçu de Polycrate une somme assez considérable, ile ne put passer qu’une nuit avec un hôte aussi dangereux, et alla, le lendemain, reporter l’argent au tyran, en lui conjurant de lui rendre ses chansons et sa gaieté. Cette anecdote à probablement fourni à la Fontaine la fable intitulée : le Savetier et le Financier. Après la mort de Polycrate, Ànacréon alla à Athènes ; et Hipparque, qui y commandait, envoya à sa rencontre une galère armée de cinquante rames. La chute d’hipparque chassa d’Athènes notre poëte, qui probablement retourna alors à Téos ; car il s’y trouvait lorsqu’Histiée fit révolter l’Ionie contre Darius. Justement alarmé des suites que devait avoir cette rébellion, le chantre des amours et du vin se retira à Abdére, où il conduisit gaiement sa carrière jusqu’à 85 ans. Il mourut étranglé, dit-on, par un pépin de raisin :


Ainsi finirent ses beaux jours,
Évanouis dans la mollesse :
Et son nom, qui vivra sans cesse,
Fut déposé par la Paresse
Dans les annales des amours.


Téos honora sa mémoire, et sa statue fut placée à côté de celles de Périclès et de Xantippe. Nous avons d’Anacréon des odes bachiques et érotiques ; ce sont presque autant de modèles achevés, dans un genre qui a gardé le nom du vieillard de Téos : mais, tout en rendant justice à ses talents, il serait à désirer que la postérité n’eût aucun reproche à faire aux mœurs d’Anacréon. Malheureusement, les noms de Bathylle, de Smerdias et de Cléobule, devenus désormais inséparables de celle d’Anacréon, n’attestent que trop dépravation de ses mœurs et la licence de ses chants. Indépendamment de ses odes, Anacréon avait composé un assez grand nombre d’ouvrages, dont quelques-uns sont nommés par Suidas, et d’autres cités avec éloge par Athénée ; mais il ne nous reste de tout cela que quelques fragments, qui prouvent que ce poëte ingénieux et facile ne s’était guère exercé que sur des matières érotiques. Dans ce qui nous est parvenu de lui, tout respire l’enjouement et la mollesse ; ce n’est point un auteur qui écrit, c’est un convive aimable qui s’abandonne à la gaieté de sa verve. Les œuvres d’Anacréon parurent, pour la première fois (Paris, 1554), par les soins de Henri Estienne, qui trouva l’ode 11e sur la couverture d’un vieux livre. On ne connaissait jusque-là d’Anacréon que ce qu’Aulu-Gelle et l’Anthologie en avaient conservé. Un hasard heureux ayant procuré à ce même éditeur deux manuscrits d’Anacréon, il les conféra soigneusement, et publia l’édition que je viens d’annoncer, avec quelques fragments d’Alcée. et deux odes de Sapho ; les deux manuscrits qui guidèrent Henri Estienne, les seuls que l’on ait longtemps connus d’Anacréon, ne nous ont pas été conservés. Henri étant tombé, sur la fin de sa vie, dans une espèce d’aliénation d’esprit, les laissa périr, avec beaucoup d’autres, qu’il ne communiquait à personne, par même au savant Casaubon, son gendre. cette édition princeps fut-elle reçue bien diversement de la plupart des érudits : les uns l’accueillirent avec transport, les autres en suspectèrent l’authenticité et s’obstinèrent à ne reconnaitre pour poésies d’Anacréon que celles dont ils trouvaient les vestiges dans les anciens auteurs. Tannegui-Lefèvre contesta, le premier, dans des notes savantes, l’antiquité d’un grand nombre d’odes (Saumur, 1660) ; la célèbre Madame Dacier, sa fille, publia ces notes (Paris, 1682, et Amst., 1963, 1699 et 1716) avec une version française et des notes, et Longepierre, avec une traduction en vers français. Le Bouthilier de Rancé, devenu si fameux depuis, comme abbé de la Trappe, était à peine âgé de treize ans, lorsqu’il donna son édition l’Апасréоп, avec les Scholies grecques, dédiée au cardinal de Richelieu, son parrain, (Paris, 1639 et 1647). Baxter, en 1695, une édition réimprimée à Londres, 1710, in-8o. Rien n’égale la témérité avec laquelle il change, corrige et mutile le texte, jusqu’alors respecté, de Henri Etienne. Barnèse réfuta Baxter, dans l’édition qu’il donna (Cambridge, 1705), d’après un manuscrit du Vatican, et les conjectures de Scaliger, Saumaise, et Dan. Heinsius. Enfin, parut celle de Maittaire (Londres, 1725, in-4o.), celle de Corn. de Paw (Utrecht, 1732, in-4o.), remarquable par la hardiesse des conjectures que l’éditeur propose de substituer aux anciennes leçons. Il fut complètement réfuté par le savant Dorville. Aidé de tant de secours, et éclairé par tant de fautes, Fischer publia enfin (Leipsick, 1776, et réimpr. en 1793, in-8o), une édition d’Аnacréon, bien supérieure, sous tous les rapports, à celles que je viens de citer ; ce qui n’empêcha pas Brunck d’en donner une autre (Strasbourg, 1778), avec des observations critiques, et une révision exacte de tout le texte grec, d’après les manuscrits et les remarques des éditeurs précédents. Cette jolie édition a été surpassée par celle de l’abbé Spaletti (Rome, 1781), qui en faisant graver le texte d’après le manuscrit du Vatican, en fit plutôt un objet de luxe et un monument de curiosité typographique, qu’un ouvrage d’une utilité vraiment littéraire. On en peut dire autant de la magnifique édition de Parme (Bodoni, 1785 ). Brunck donna, à Strasbourg, en 1786, in-16, une seconde édition de son Anacréon, d’après le manuscrit du Vatican. C’est cette édition qui est le plus généralement estimée. Beaucoup de traducteurs se sont exercés sur Anacréon ; il est peu de poètes français qui n’aient imité quelqu’une de ses pièces. Régnier-Desmarais, La Fontaine, Mulot et beaucoup d’autres, MM. Roman, Millevoye, Tissot, etc., en ont imité quelques unes. Voici l’indication des traductions entières, outre celles de Madame Dacier et de Longepierre, dont nous avons déjà parlé : 1o Odes d’Anacréon, traduites en vers, par Rémi Belleau, Paris, 1556, 1571, petit in-12, et dans les Œuvres de Belleau, 1578, ou 1585, in-12. 2o Traduction nouvelle des odes d’Anacréon, sur l’original grec, par La Fosse, avec des remarques et autres ouvrages du traducteur, 1704, in-12 ; 3o les Odes d’Anacréon et de Sapho, traduites en vers français,