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n’oublia point, lorsqu’il fut devenu prince, qu’il avait été le collègue d’Andrieux au corps législatif, et qu’il avait coutume de s’asseoir auprès de lui. Joseph alla le trouver, et lui dit : « Il me tombe sur les bras une grande fortune, il faut que mes amis m’aident à en faire un bon usage ; » et Andrieu : fut nommé bibliothécaire de Joseph, avec 6,000 tr. d’appointements. Il n’oublia jamais ni la grâce du bienfait ni la reconnaissance due au bienfaiteur. Il a toujours conservé le portrait de Joseph dans son cabinet, et ses lettres lui ont porté tous les ans, dans son exil, des souvenirs honorables pour l’homme qui avait été puissant, et pour celui qui était reste fidèle à son infortune. Andrieux reçut dans ce même temps la croix de la Légion d’honneur ; il fut encore nommé, en 1804, bibliothécaire du sénat, puis professeur de grammaire et de belles-lettres à l’école polytechnique. Depuis l’an 3 (1795), époque de sa fondation, sous le titre d’école des travaux publics, jusqu’à la fin de la république, l’enseignement dans cette école célèbre n’avait embrassé que l’analyse et la mécanique, la géométrie pure et appliquée, la chimie, la physique, l’architecture et le dessin. Andrieux fut donc le premier professeur nommé à la nouvelle chaire ; il avait enfin trouvé sa vocation ; il était fait pour professer, pour instruire, et nul mieux que lui n’a su faire passer rapidement ses élèves de l’amour de la science à l’attachement au professeur. On les voyait toujours s’empresser pour l’entendre. Quand il professait à l’une des sections de l’école, l’autre abandonnait la recréation pour venir l’écouter. Mais bientôt ses fonctions ne se bornèrent pas à donner des leçons : il fut chargé d’examiner les compositions d’analyses grammaticales, faites dans toute la France par les candidats, devant les examinateurs, qui les convoyaient à Paris. Andrieux était dans cette partie le juge suprême. C’est lui qui seul dressait les listes des candidats ; et il notait consciencieusement ceux qui n’avaient pas satisfait aux conditions du programme. Il fit pour la dernière fois cet examen au concours d’octobre 1815. Quelques mois après (mars 1816) la restauration lui avait donné dans sa chaire un successeur, M. Aimé Martin. On ajouta à l’enseignement de la grammaire et des belles-lettres, celui de l’histoire et de la morale, ce qui ne rendit pas, pour le successeur, la tâche plus aisée. Andrieux avait fait imprimer en 1807, in-4o, son Cours de grammaire et de belles-lettres à l’usage de l’école polytechnique ; il en a paru depuis une seconde partie. — Ce fut en 1814, que, sur la triple présentation du Collège de France, de l’Institut et du ministre de l’intérieur, Andrieux fut nommé professeur de littérature à ce collège, dont la fondation fit donner à François Ier le titre de père des lettres. C’est dans cette chaire qu’il a trouvé pendant dix-neuf ans ses plus brillants succès les jouissances les plus douces pour l’orateur homme de bien. Andrieux ne se bornait pas à enseigner la littérature, il enseignait la philosophie des belles-lettres, et c’est sous ce titre qu’il se proposait de publier son cours. Il cherchait moins à former des écrivains que des hommes éclairés et des citoyens. « Sa parole était simple, spirituelle, malicieuse quelquefoiss jamais maligne, et toujours empreinte d’une exquise urbanité… Nul ne contait mieux, ne lançait mieux une saillie, ne relevait mieux son discours par le charme du débit et par la vivacité d’une pantomime expressive… Deux heures avant la leçon, toutes les places étaient déjà prises… ; pas une parole n’était perdue, malgré le faible organe de l’orateur, qui semblait moins une voix qu’un souffle[1]. » Dans les derniers temps de sa vie (f8l4), Ducis voulut aller l’entendre. Dès que le professeur eut aperçu dans l’auditoire le vieillard qui était son ami, il oublia le sujet qu’il allait traiter, et improvisa toute sa leçon sur les ouvrages du tragique français. Il récita un grand nombre de vers, des scènes entières, et en fit ressortir les beautés avec un talent facile et tout de conviction. Les auditeurs étaient nombreux, ils furent électrisés. Les applaudissements redoublaient sans cesse ; et, quand le professeur eut quitte sa chaire, la belle tête de Ducis, le souvenir de ses triomphes et les éloges de son ami. portèrent au comble l’enthousiasme d’une jeunesse facile a exalter. Le vieux poëte fut entoure, pressé dans une foule de bras, et porté jusque dans sa voiture. Ducis, dont l’âme était plus forte que la tête, fut si profondément ému, et des éloges du professeur, et des transports de ses élèves, que sa raison en parut un peu troublée pendant trois jours, et que le bon Andrieux fut presque tente de se repentir d’avoir contribue ai cette ovation d’un poëte alors octogénaire. — Après avoir vu Andrieux jurisconsulte. législateur et professeur, il reste à le voir auteur dramatique, poëte, littérateur et académicien. — 1° Anaximandre, ou le Sacrifice aux Grâces, fut, en 1782. le début d’Andrieux dans la carrière dramatique. Cette petite comédie en un acte et en vers dissyllabes fut représentée le 22 décembre par les comédiens italiens. Une romance de François de Neutchâteau, imprimée dans l’Almanach des Muses (1775), intitulée aussi Anaximandre, et dont le refrain était :

L’esprit et les talents sont bien,
Mais sans les Grâces ce n’est rien,


fournit à Andrieux l’idée de sa petite comédie : il fit imprimer la romance avec sa pièce, « pour rendre, dit-il. À son auteur l’hommage que je lui dois. » Laharpe annonce ainsi (dans sa Correspondance littéraire) le succès d’estime, un peu froid, qu’obtint Anaximandre : « petit acte d’un jeune homme de dix-neuf ans, bagatelle assez agréablement dialoguée et qui a été bien reçue. » L’auteur dédia ce premier ouvrage à sa sœur, dont il ne s’est jamais séparé, et qui a fait le bonheur de sa vie. 2° La comédie des Étourdis, ou le Mort supposé, en 3 actes et en vers, fut jouée ai Paris par les comédiens italiens le 14 septembre, et à Versailles, devant la cour, le 11 janvier 1788. « Cette pièce, dit Laharpe, a beaucoup de succès et est faite pour en avoir toujours. Le fond de l’intrigue est peu de chose… Ce n’est pas du comique de caractère, mais c’est du comique de détail, qui est de fort bon goût. Un

  1. Notice de M. Berville.