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soleil, étaient suffocants. C’est entre le lit et le paravent que le diner était servi, toujours fin et délicat. On apportait alors à madame d’Angiviller un potage de bouillon de grenouille, qu’elle mangeait lentement avec une cuiller a café : elle ne prenait pas d’autre aliment. Les convives sortaient souvent malades et presque asphyxiés. « Ces diners me font mal, disait un jour Ducis. Je n’irai plus là. Qu’ai-je affaire à des cadavres attendant que je leur apprenne qu’ils sont encore en en vie. » Mais les sermons de l’abbé de la Fage et les cajoleries complimenteuses de la fée l’empêchaient de donner suite à ces boutades d’un moment. C’est ainsi que s’écoulaient les derniers jours de la vie de madame d’Angiviller, tandis que son mari achevait la sienne d’une manière plus austère, mais presque aussi remarquable par sa singularité, dans un couvent de moines d’Allemagne. On disait qu’il s’était lassé des fantaisies de sa femme et des bains perpétuels qu’elle lui imposait dans ses idées de racornissement. Cependant, malgré son hygiène relâchante, madame d’Angiviller mourut d’une rétention, le 14 mars 1808, dans la 83e année de son âge. M. Caron, alors professeur au lycée de Versailles, lui consacra une notice nécrologique dans le Journal de Seine-et-Oise. « On croit généralement, y est-il dit, que son portefeuille doit renfermer quelques traits de ses pensées et de sa féconde imagination. Cependant c’est a un secret qu’on n’a jamais pu dérober à sa modestie. » Ce secret, s’il a existé, n’est point encore connu ; mais ce qui a été publié par la reconnaissance et par la voix du pauvre, ce sont les secours que madame d’Angiviller prodiguait aux indigents. L’auteur de la Notice nécrologique dit : « Plus de trente familles a Versailles devaient à ses libéralités leur subsistance journalière. » Or, il y a dans ce fait l’excuse de trente ridicules. V-ve.


ANGLADA (Joseph), médecin distingué, naquit à Perpignan le 11 octobre 1775, d’un père qui lui-même exerçait l’art de guérir avec habileté dans cette ville, à l’université de laquelle il remplissait, avant la révolution, les fonctions de recteur et de professeur en chimie. Avec un tel exemple sous les yeux, Anglada n’hésita même pas sur le choix de la carrière qu’il devait embrasser ; la médecine et la chimie se partagèrent tous ses moments, dès qu’il eut terminé la série de ses études préliminaires. Après avoir servi pendant quelque temps comme chirurgien dans les hôpitaux de sa ville natale, il obtint, par l’honorable voie du concours, le droit d’aller compléter son instruction médicale aux frais de l’État, dans l’école de Montpellier. Fouquet, qui brillait alors dans cette grande école, où il avait crée l’enseignement clinique, ne tarda pas à distinguer le nouvel élève, qui se faisait remarquer par une ardeur et une persévérance peu communes. Anglada fut récompensé de son travail opiniâtre par la place de chef de clinique, dont il remplit les fonctions avec une exactitude exemplaire. Dans le même temps il suivait les cours de chimie de l’illustre Chaptal, auquel il inspira également un intérêt qui devait être un jour la source de sa fortune. En 1797, il reçut le bonnet doctoral, vint perfectionner ses études médicales à Paris, et retourna modestement à Perpignan, ne se sentant d’autre ambition que d’être utile à ses concitoyens, comme son père l’avait été, et de se consacrer tout entier à leur service. Mais à cette époque les hommes d’un vrai mérite ne parvenaient pas, même quand leur goût les y portait, à s’ensevelir dans l’obscurité. Chaptal, ministre de l’intérieur, et dont l’administration a laissé de si grands souvenirs, réorganisait les écoles de santé, et apportait surtout des perfectionnements remarquables à celle de Montpellier, pour laquelle il conservait une secrète prédilection, Anglade, dont il n’avait pas perdu le souvenir, fut chargé par lui de mettre en ordre le cabinet, dont les matériaux étaient confusément entassés. Ce travail convenait à la tournure spéciale de son esprit, naturellement enclin à classer et généraliser les idées. Mais avec quelque assiduité qu’il remplit sa place de conservateur, elle lui laissait encore beaucoup de loisirs, dont il profita pour cultiver la chimie, qu’il aimait avec passion, et dans laquelle il avait acquis des connaissances profondes. Les cours particuliers qu’il fit sur cette science favorite lui valurent une réputation méritée ; l’université le récompensa, en 1809, par la chaire de professeur à la faculté des sciences. dont il devint, doyen en 1816. Quatre ans après, en 1820, à la mort. de Berthe, ses vœux les plus ardents furent comblés par sa nomination à la chaire de thérapeutique et de matière médicale. Il se vit ainsi ramené dans une sphère d’idées qui n’étaient pas nouvelles pour lui, mais qu’on lui croyait moins familières que celles de chimie, parce qu’il n’avait pas encore trouvé l’occasion de mettre le public en confidence des résultats de ses longues méditations. Pendant tout le temps qu’il professa la thérapeutique, on reconnut, dans la sûreté de son jugement et dans la justesse des principes qu’il émettait, un médecin à qui la science de la vie et des maladies était familière. Comme l’a dit le professeur René, ceux qui affectaient de ne voir en lui qu’un homme qui avait abandonné la médecine pour les sciences physiques furent contraints de reconnaître que, loin d’être déplacé dans une chaire éminemment médicale, il était, au contraire, destiné à en devenir l’ornement. Des mutations qu’une nouvelle réorganisation avait tendues nécessaires le contraignirent plus tard d’échanger cette chaire contre celle de médecine légale. La encore il fit preuve d’une grande rectitude de jugement, en ne se renfermant pas, comme on aurait pu le penser, comme l’avaient peut-être espéré les promoteurs de cette mutation, dans le cercle des problèmes de la toxicologie, qu’il était plus propre que beaucoup d’autres, par sa spécialité chimique, à éclairer des lumières de la science. Durant quelques années, il s’attacha surtout à enseigner la partie qui exige plus, particulièrement des notions médicales, et s’il ne s’y montra pas aussi supérieur qu’il eût pu l’être dans la branche qui se rattachait à l’objet constant de ses études, du moins ne fut-il jamais au-dessous de sa tache. La mort le surprit le 19 décembre 1833. La maladie qui l’enleva n’aurait peut-être pas eu une fin si déplorable,