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Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 10.djvu/62

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riva enfin à Elisabethgorod, dans la tente du prince de Ligne, qu’il avait connu ir Versailles, et qui était alors commissaire de la cour de Vienne près de l’armée russe. Cet admirateur enthousiaste de la valeur française le reçut à merveille ; il écarta tous les obstacles qui s’opposaient à son admission dans les rangs moscowites, et ne laissa échapper aucune occasion de faire admirer ses exploits :

« C’est, disait-il, un Français de trois siècles ; il réunit l’esprit chevaleresque de François Ier aux grâces du grand Condé et à la gaîté du maréchal de Saxe. Il est étourdi comme un hanneton au milieu des plus vives canonnades, bruyant, chanteur impitoyable, fertile en citations les plus folles au milieu des coups de fusil, et jugeant néanmoins de tout à merveille. La guerre ne l’enivre pas ; mais il y est ardent, d’une jolie ardeur, comme on l’est à la fin d’un souper. Ce n’est que lorsqu’il porte un ordre, et donne son petit conseil, ou prend quelque chose sur lui, qu’il met de l’eau dans son vin. Il s’est distingué aux victoires navales que Nassau a remportées sur le capitan-pacha. Je l’ai vu à toutes les sorties des janissaires et aux escarmouches journalières avec les spahis ; il a déjà été blessé deux fois. Toujours Français dans l’âme, il est Russe et pour la subordination et pour le bon maintien. Aimable, aimé de tout le monde, ce qui s’appelle un joli Français, un brave garçon, un seigneur de bon goût de la cour de France ; voila ce que c’est que Roger de Damas. »

Le prince de Nassau-Siegen avait promis au comte de Damas qu’il le ferait tuer ou qu’il lui ferait gagner la croix de St-George, et, dans cette bonne intention, il le chargea un jour de prendre à l’abordage le vaisseau amiral turc qui avait échoué sur un banc de sable. Cette périlleuse entreprise avait été vainement tentée par un colonel russe ; Damas, à la tête de quelques grenadiers, aborde cette espèce de citadelle, défendue en même temps par une vive mousqueterie et par l’incendie qui s’y manifestait de toutes parts. Il l’enlève, et s’empare du drapeau de Mahomet, qui n’avait jamais été pris depuis la création de la marine russe... Cet exploit, dont le bonheur égala la témérité, eut le plus grand éclat, et l’impératrice se hâta d’envoyer au comte la croix de St-George, avec une épée en or, portant l’inscription du motif glorieux qui la lui avait méritée. À l’assaut d’Otchakow, le comte de Damas était l’adjudant du prince Potemkin ; il dirigea la principale attaque à la tête d’un corps de grenadiers, et pénétra le premier dans la ville. Après cette campagne il se rendit en Russie avec le prince Potemkin, et fut présenté a l’impératrice, qui le reçut avec cette grâce si bien faite pour exalter l’enthousiasme d’un jeune militaire déjà passionné


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pour la gloire. Elle lui donna le grade de colonel, et c’est en cette qualité qu’il fit la campagne de 1789, que termina le siège de Bender. Impatient de revoir sa patrie, il revint à Paris vers la fin de cette année, et y fut témoin des tristes évènements qui préparaient la fin de la monarchie. Soit qu’il considérât son dévouement comme inutile dans de pareilles circonstances, ou, ce qui est plus probable, soit que l’on n’en eut pas compris l’utilité, il crut encore une fois devoir s’éloigner et aller cueillir de nouveaux lauriers sur une terre étrangère. Muni de lettres de la reine pour l’empereur Léopold, il passa par Vienne dans le mois de mai 1790, et céda au désir que ce prince lui témoigna pour qu’il allât visiter les quartiers de l’armée autrichienne sur les bords du Danube. Arrivé à Iassi, il y reçut le commandement de l’un des plus beaux régiments de l’armée russe, et eut une grande part aux victoires d’Akermann, de Klia, et surtout à la prise d’Ismaël, où il commanda encore la principale attaque. Ce fut là qu’il vit pour la première fois le duc de Richelieu, qu’il introduisit en quelque façon dans l’armée russe, et avec lequel il est resté lié jusqu’à la fin de sa vie. Après la prise d’Ismaël, l’impératrice écrivit au comte de Damas la lettre la plus flatteuse, en lui envoyant la croix de commandeur de St-George. Cette princesse n’a pas cessé de lui témoigner le plus vif intérêt. Mais ces exploits étaient les derniers que le comte de Damas devait obtenir sous le drapeau moscowite. Les préparatifs de guerre que la noblesse française faisait alors sur les bords du Rhin, pour attaquer la révolution, l’appelèrent bientôt dans ces contrées. Il vint offrir ses services aux frères de Louis XVI à Coblentz, dans les premiers mois de 1791, et fut nommé aide de camp du comte d’Artois, qu’il suivit en Champagne au mois de septembre 1792. Employé près du duc de Brunswick dans cette déplorable expédition, il eut à gémir plus d’une fois des cohérences et des hésitations dont il ne pouvait deviner la cause (voy. Dumouriez). Après la retraite des Prussiens, il accompagna le comte d’Artois à St-Pétersbour, où son crédit et sa réputation contribuèrent beaucoup à la brillante réception que l’impératrice fit à ce prince. Il le suivit en Angleterre, et passa de là dans l’île de Guernesey, pour ï former quelque entreprise avec les royalistes de la Bretagne. Mais, ne pouvant y réussir, il revint sur le continent, fut témoin de quelques opérations de l’armée anglo-autrichienne en Flandre, et alla se ranger sous le drapeau blanc sur les bords du Rhin dans l’armée du prince de Condé. On fut donna en 1798 le commandement d’une légion qui reçut son nom, et qui fit avec beaucoup de distinction les campagnes de 1796 et 1797. Cette armée étant passée à la solde de la Russie en 1798, le comte de Damas se rendit en Italie. Arrivé à Naples, au moment où la guerre était près d’y éclater, il céda aux instances du roi Ferdinand pour entrer à son service, et prit le


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