Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 13.djvu/166

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nes, puisque à chaque instant il se voyait obligé d’abandonner ses affaires et de quitter Paris. En 1566, il publia une nouvelle édition de la traduction latine d’Hérodote par Valla, corrigée avec soin, et la fit précéder d’une apologie de cet historien, pour le justifier du reproche de crédulité ; informé qu’on se proposait de traduire cette pièce, il prit la résolution de la mettre lui-même en français ; mais il ajouta à cette traduction une foule d’anecdotes qu’il avait apprises en Italie, de traits satiriques, d’épigrammes contre les prêtres et les moines, ce qui l’aurait exposé à un danger continuel, s’il en eût été connu pour l’auteur. On sait que Robert Estienne avait eu le projet de publier un dictionnaire de la langue grecque ; Henri en avait recueilli les principaux matériaux, et depuis il n’avait cessé d’en rassembler d’autres pour ce grand ouvrage. Enfin, après douze années de soins et de recherches, il fit paraître ce trésor d’érudition et de critique, qui seul suffirait pour assurer à son auteur une réputation durable. Les savants donnèrent. à cet ouvrage les plus magnifiques éloges, mais la vente en fut retardée par le prix auquel Henri avait été obligé de le porter pour s’indemniser de ses frais. Pendant ce temps-là, Scapula en publia un abrégé qui acheva de paralyser le débit du dictionnaire, et la ruine de Henri fut consommée. Il fit alors un voyage en Allemagne, soit pour chercher quelques distractions à ses chagrins, soit pour se procurer des ressources qu’il ne pouvait obtenir dans sa patrie. Le peu de reconnaissance de ses concitoyens n’altéra point les sentiments qu’il leur portait, et il soutint par ses discours et par ses écrits l’honneur de la France dans les pays étrangers. Cette conduite lui mérita la bienveillance de Henri III. Ce prince lui accorda une gratification de 3,000 livres pour son ouvrage de la Précellence du langage français, et une pension de 300 livres pour l’encourager à la recherche des manuscrits ; il l’invita en outre à demeurer à sa cour, l’admit plusieurs fois dans ses conseils, et lui fit délivrer des ordonnances pour des sommes considérables ; mais ces sommes étaient mal payées ou ne l’étaient pas du tout, à raison du désordre des finances ; de sorte qu’Estienne prit la résolution d’abandonner la cour pour s’occuper plus utilement de sa famille. Il recommença bientôt à mener une vie errante ; on le voit tour à tour à Orléans, à Paris, à Francfort, à Genève, à Lyon, fuyant sa patrie, la regrettant, et achevant, par ses incertitudes, d’épuiser le peu de ressources qui lui restaient. Dans un dernier voyage qu’il fit à Lyon, il y tomba malade (1) [1], et fut transporté à l’hôpital, où il mourut, au mois de mars 1598 (2) [2]. Telle fut la vie déplorable d’un des plus

XIII.

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savants hommes qui aient existé. Henri était doué d’un esprit vif et d’un goût délicat ; personne ne s’est montré plus sensible aux beautés des anciens, et on voit, par quelques-unes de ses traductions, qu’il était capable de les bien rendre. Les circonstances malheureuses dans lesquelles il s’est trouvé ne lui ont pas permis de donner le même soin que son père à la beauté de l’exécution typographique des ouvrages qui sortirent de ses presses ; mais il en a publié un bien plus grand nombre, qui ne leur cèdent en rien pour la correction. Il a presque toujours joint aux auteurs qu’il a imprimés de savantes préfaces et des notes courtes et judicieuses. Ces éditions sont presque toutes devenues la base du texte reçu dans celles qui ont été publiées depuis. Quelques savants modernes, surtout parmi les Allemands, ont attaqué sa bonne foi, en prétendant qu’il avait introduit dans les textes des leçons vicieuses, sans y être autorisé par les manuscrits ? mais il a été justifiée cet égard par M. Wyttembach, dans sa préface sur les œuvres morales de Plutarque. Henri composait dès vers latins avec la plus grande facilité, souvent en marchant, ou à cheval, dans ses voyages ou même en conversant avec ses amis. Il fut lié avec tous les savants de l’Europe ; il était cependant d’un caractère railleur, n’aimait point à être contredit, et se permettait des épigrammes mordantes contre ceux qui ne partageaient point son opinion. Il a laissé un très grand nombre d’ouvrages, dont on trouvera une liste étendue dans les Mémoires de Niceron, t. 56. Parmi les auteurs anciens qu’il a publiés, avec des notes, on distingue les suivants : Poetœ grœci, principes heroïci carminis, 1566, in-fol., magnifique recueil dont le prix augmente tous les jours ; Pindari et cœterorum octo lyricorum carmina, 1560, in-24, Maxime de Tyr, Diodore, Xénophon, Thucydide, Hérodote, Sophocle, Eschyle, Diogène Laërce, Plutarque, Apollonius de Rhodes, Callimaque, Platon, Hérodien et Appien ; Horace, Virgile, Pline le jeune, Aulugelle, Macrobe, les historiens latins en un recueil, etc., mais son goût le portait vers la littérature grecque. Il a traduit en latin Anacréon, Théocrite, Bion et Moschus, Pindare, Sextus Empiricus ; les tragédies choisies d’Eschyle, Sophocle et Euripide ; les Sentences des comiques grecs ; un choix d’epigrammes de l’anthologie ; plusieurs des Vies de Plutarque, le poëme de Denys d’Alexandrie, De situ orbis, la Géographie de Dicéarque, etc., et ses versions peuvent être regardées comme des modèles en ce genre. On se contentera de citer, parmi les ouvrages qu’il a composés, ceux qui sont le plus recherchés :

1e Ciceronianum Lexicon grœco-latinum, id est, Lexicon ex variis grœcorum scriptorum locis a Cicerone interpretatis collectum, Paris, in-8°, réimprimé à Turin, 1745, in-8°. Cette

mais nécessaire pour garantir les convois funèbres des protestants des insultes que leur avait fuites la populace. Colonia, Hist-lül·, t. 2, p. ws. w A, P.

  1. (1) II paraît qu’il avait l’esprit aliéné. Voyez les Bucoliques de M. Firmin Didot, p. 262.
  2. (2) Henri Estienne fut enterré dans le cimetière des religionnaires, près de l’hôpital. Il fut le premier dont le convoi fut accompagné par un détachement de la compagnie du guet. Les magistrats de Lyon jugèrent que cette précaution était désormais nécessaire pour garantir les convois funèbres des protestants des insultes que leur avait faites la populace. Colonia, Hist. litt, t. 2, p. 609.. A. P..