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Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 16.djvu/546

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GIR
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part, de l’autre, par la munificence et les témoignages de haute estime et presque d’affection du tsar. Il en est un surtout qui fut donné par Nicolas en personne et auquel le moment prête un caractère insolite et tout à fait mémorable. La révolution polonaise, en 1851 et 1852, trouva en Girard un adepte fervent, et qui plus est actif. De même qu’en 1814 il avait imaginé son fusil à vapeur pour retarder le dénomment fatal à Paris, de même il voulut coopérer à la défense de Varsovie, et dans ce but il accéléra la fabrication des bois de fusil en s’obtenant par la mécanique. Varsovie fut prise. Sans être le moins du monde un trembleur ou un comédien, Girard se hâta de démonter, de cacher ses fusils et les machines à l’aide desquelles il les confectionnait plus expéditivement et meilleurs. Les Russes sont supérieurement montés en espions : on savait au camp russe que Girard avait inventé quelque chose en faveur des « rebelles polonais ». Ordre arrive de la part du grand-duc Michel pour qu’on remonte et qu’on essaye les fusils. Girard obéit (que faire en effet!) en se disant : « C’est fini ! et malgré ma réserve de sujet français, me voici en Sibérie... Mon ami le Directeur en chef des mines de Pologne, vous allez être dirigé sur les mines de Nertchinsk ! » Mais du tout : la mine du grand-duc n’a rien de sinistre, et a mesure que l’épreuve avance il devient riant ; il termine en adressant quelques questions et des éloges à l’auteur. Quelques jours après le tsar fait son entrée à Varsovie : il veut aussi voir fonctionner les armes nouvelles, il veut voir Girard. La puissance et le fini des fusils à la polonaise l’enchantent à tel point, qu’il fait approcher l’ingénieur pour le combler de compliments qui enchérissent sur ceux de son frère, et qu’il détache sa croix de St-Stanislas pour l’en gratifier devant tous. Plus d’une fois semblable transport, plus ou moins « ex abrupto, » s’est vu de prince à sujet ; mais en cette circonstance le fait est rare et probablement même unique. Du reste, avouons que

Girard était bien l’homme qui justifiait semblable explosion d’enthousiasme de la part d’un successeur de Pierre le Grand, qui aimait à poser en Pierre le Grand. Il était ingénieur, ainsi que Lefort, et plus habile. Il en eût remontré au charpentier de Zaardam en carènes de navire et en moyens propulseurs. Il semblait avoir la mission de trouver mieux que ce primitif fusil, ce mousquet, cette carabine, à ses yeux armes antédiluviennes, bonnes pour les mains de Malaléel ou de Katnan l’ainé. Autour de sa grande filature-modèle, qu’il organisa aux environs de Varsovie, moitié avec le concours de la Banque de Varsovie et du trésor impérial russe, moitié à l’aide d’une société d’actionnaires, s’était élevé rapidement la petite ville de Girardow, visible déjà sur les nouvelles cartes de Pologne, et non moins ébouriffant monument de l’ubiquité française que la Dupleix-abad improvisée, au siècle passé, dans l’Inde :Nicolas voulut que la ville eût pour armoiries celles des Girard ! Général de toutes les mines polonaises et général de la filature, un autre aurait faibli sous le poids de cette double épaulette, ou du moins n’aurait pu que tout juste vaquer à l’une et à l’autre, sans faire de l’une ou de l’autre une sinécure. Pour Girard, au contraire, ces occupations nouvelles ne furent qu’un stimulant de plus, et jamais son activité intellectuelle ne se manifesta par des créations plus nombreuses et plus variées. Tantôt au moyen d’une roue hydraulique de son invention il utilise les grandes chutes d’eau, et, en l’introduisant dans les constructions de divers étangs de l’État, en peu d’années il réalise au profit du trésor une économie de cent mille florins (bien plus que la somme de ses appointements pendant toute la durée de son contrat !). Tantôt il change le mode de chauffage des fourneaux à zinc, et de cette manière il* diminue de 55 pour cent la quantité de combustible nécessaire pour traiter le métal, d’où une économie de 200 000 quintaux de houille tous les ans (2 000 000 de quintaux de 1827 à 1852 dans la seule usine de Dombrowa), pour obtenir la même somme de produits. Ici, vous voyez un appareil à chauffer l’air pour les hauts-fourneaux et pour les fourneaux à cuve, dont la place est sur le gueulard, et un autre qui se place à côté du gueulard ; là, c’en est un autre pour l’extraction et l’évaporation du jus de betteraves. Plus loin, ce sont de nouvelles turbines, des machines à tourner les corps sphériques de 1 à 56 centimètres de diamètre (1830) avec une précision mathématique ; des machines à (sculpter, en termes techniques à) tailler les bois de fusil et à creuser l’encastrement de la platine et de la sous-garde dans huit bois de fusil à la fois (1851), machines qu’imite vingt ans après M. Grimpé ; de grandes machines à vapeur de la force de cent chevaux, sans balancier. Il n’est rien qu’il aborde ou qu’il touche sans y laisser trace de son génie. Il imagine un couvoir artificiel !, il imagine un mécanisme à faire monter les cierges dans le candélabre !! rival de Babbage, il imagine une machine à résoudre les équations, mais fondée sur l’équilibre au lieu de l’être sur un principe dynamique. Varsovie admire et son Chronothermomètre, un des ornements de la façade du palais de la Banque, où il marque et conserve inscrit sur un tableau qui se renouvelle de lui-même toutes les heures la température de chacune des vingt-quatre heures précédentes, et son Météorographe de l’observatoire, en même temps thermomètre, baromètre, pluviomètre et anémomètre, puisqu’il note sur deux feuilles de papier renouvelées chaque jour pour tous les instants des vingt-quatre heures la température, la hauteur barométrique, la quantité de pluie tombée, la direction et la vitesse du vent. Nul instrument météorologique n’a encore somme toute surpassé ces deux dernières créations, ni l’Enregistreur de Wheatstone postérieur de quatre ans au moins à l’envoi des instruments de Girard, ni l’Anémomètre Dumoncel supérieur en ce qu’il fonctionne huit jours, mais inférieur en ce qu’il ne note que le vent. Nous bornons cette énumération qui nous entraînerait trop loin et dont le simple aperçu ne