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Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 16.djvu/7

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croit capables d’absorber la vie d’un homme ne suffisaient pas encore à l’esprit infatigable du missionnaire. Les devoirs de son état, qu’il remplissait avec ardeur et constance, les sciences exactes, et principalement l’astronomie, dont il s’occupa toujours avec prédilection, partageaient son application sans l’affaiblir. On le voyait souvent, après avoir consacré des nuits entières à contempler les astres, passer de l’observatoire à l’autel, de l’autel à la chaire, de la chaire au tribunal de la pénitence, sans mettre entre ces différents exercices aucun intervalle de repos. Une santé robuste, un tempérament à l’épreuve de tout, favorisaient encore l’incroyable activité de son esprit. Quand il arriva à la Chine, les circonstances n’étaient plus aussi favorables aux missionnaires qu’elles avaient paru l’être pendant quelques années. L’empereur Ching-Tsou, que les Européens nomment Khang-Hi, n’était plus. Son successeur avait apporté sur le trône les préjugés les plus défavorables aux propagateurs de la foi chrétienne. Gaubil néanmoins fut bientôt distingué et nommé par l’empereur interprète des Européens, que la cour chinoise consentait à recevoir comme artistes et mathématiciens, tout en les repoussant ou en les persécutant comme missionnaires. Il y avait alors à Peking des colléges où de jeunes Mandchoux venaient étudier le latin, pour être ensuite employés dans les affaires avec les Russes. Le P. Parennin, qui en avait la direction, étant venu à mourir, le P. Gaubil fut choisi pour le remplacer. Il fut de plus interprète pour le latin et le tartare, charge que les relations établies entre la Russie et la Chine ont rendue très-importante. Traduire du latin en mandchou les dépêches du sénat de St-Pétersbourg, et du mandchou ou du chinois en latin les réponses des cours souveraines de Peking ; faire concorder les idiomes les plus disparates que l’esprit humain ait créés ; écrire, parler, composer, rédiger, au milieu des hommes les plus amis de l’exactitude et les plus attachés aux minuties de leur langue et de leur écriture ; s’acquitter de tous ces devoirs à toute heure, sans préparation, devant les ministres, devant l’empereur lui-même ; demeurer exposé aux malentendus qui ne peuvent manquer d’avoir lieu entre deux nations comme les Russes et les Chinois, chacune entêtée de ses usages et dans l’ignorance la plus profonde de ceux du peuple avec lequel elle traite ; surmonter toutes ces difficultés pendant plus de trente années, et mériter de toutes parts l’estime et l’admiration les mieux fondées : voilà l’un des titres du P. Gaubil à la gloire. Cet illustre missionnaire nous en présente bien d’autres encore. On a peine à concevoir où il trouvait le temps que doit lui avoir demandé la composition de ses ouvrages, presque tous complets, profonds, et roulant sur les matières les plus épineuses. Son premier travail fut un Traité historique et critique de l’astronomie chinoise. Il y fait voir que l’opinion sur l’antiquité du monde fondée sur de prétendues observations astronomiques qui remontent à des millions d’années n’est pas fort ancienne à la Chine, et n’y a été embrassée que par quelques particuliers. Cet ouvrage est plein d’extraits des livres chinois les plus authentiques, et mérite, sous ce rapport, la plus grande confiance, même indépendamment de la sagacité et de la critique sûre de l’auteur. On en peut dire autant des autres mémoires sur la même matière, qui font la partie la plus intéressante du recueil d’Étienne Souciet. On trouve encore dans ce recueil le journal du voyage du P. Gaubil de Canton à Péking : ce morceau a été inséré par Prévôt dans le tome 5 de l’Hist. des voyages. La traduction française du Chou-King (Paris, 1771, in—4°) est l’ouvrage qui fait le plus d’honneur au P. Gaubil. Ce livre canonique peut être regardé comme le plus beau monument de l’antiquité profane ; il renferme des traditions authentiques sur l’histoire de la Chine et des empereurs, même, avant rétablissement des dynasties héréditaires. Le chapitre Iu-Koung, dans lequel on trouve une description géographique de l’empire chinois au 23e siècle avant notre ère, est à lui seul un trésor inestimable ; et les discours moraux mêmes qui font la base de presque tout l’ouvrage ne sont pas sans prix, quand on réfléchit à l’époque où le livre a été rédigé, et quand on tient compte du mérite de l’invention aux premiers auteurs de maximes maintenant devenues triviales, parce que leur justesse et leur énergie les ont fait passer dans la bouche de tous les hommes. Mais le style dans lequel est écrit le Chou-King se ressent du temps où il a été composé : son laconisme excessif, le choix des mots qui y sont employés, l’espèce de figures qu’on y rencontre, font qu’aucun livre chinois ne saurait lui être comparé pour la difficulté, et qu’on peut être en état de lire tous les autres, même ceux de Confucius, et n’entendre pas un mot de celui-ci. C’est en quelque sorte une autre langue, qui diffère plus du chinois moderne que ce dernier ne diffère de tout autre idiome. On peut juger par la quels obstacles dut trouver Gaubil, tout aidé qu’il était par la connaissance du mandchou et les traductions faites par les Tartares. On est donc également surpris et affligé quand on voit l’éditeur du travail de Gaubil, Deguignes, diminuer l’honneur qui doit en revenir au missionnaire en réclamant pour lui-même quelque part dans un ouvrage auquel il n’a sans doute coopéré que bien faiblement : car, quelque connaissance qu’ait eue du chinois le savant académicien, on a peine à croire qu’il ait prétendu corriger le missionnaire et rendre sa version plus littérale. Les notes qui sont au bas des pages du Chou-King, extraites pour la plupart des commentaires et des gloses originales, sont presque toutes du P. Gaubil, et apportent un grand secours dans la lecture du texte, qui sans elles serait souvent tout