Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 16.djvu/77

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nomme le Pont ou le Pont de Noblat. Comme il était propriétaire d’une bonne partie du petit village de Lussac, il ajoutait ordinairement, suivant l’usage du pays, le nom de ce village à son nom de famille pour se distinguer des autres Gay, qui d’ailleurs procédaient de même en joignant à leur nom celui d’une de leurs propriétés. La révolution interrompit forcément cet usage pendant quelque temps ; mais ensuite le père et les deux fils reprirent définitivement le nom de Gay-Lussac, pour ne plus le quitter. — Joseph Gay-Lussac et son frère Pierre-François, plus jeune d’un an, se trouvèrent en âge de faire leurs études dans un temps et sous l’influence de circonstances peu favorables, surtout pour une petite ville, où les ressources, sous ce rapport, sont toujours très-limitées. Cependant, avant l’émigration des prêtres, ils eurent pour maître l’abbé Bourdeix, homme instruit et tout dévoué à son enseignement. Gay-Lussac avait conservé un très-bon souvenir de son premier professeur de latin ; et celui-ci, après sa rentrée en France, citait souvent son ancien élève, comme ayant su parfaitement mener de front l’amour des amusements bruyants et un goût très-décidé pour le travail. Le jeune Joseph se faisait d’ailleurs remarquer déjà par la justesse avec laquelle il envisageait les petites choses de ce bas monde. Nous citerons pour exemple un fait qu’il a raconté lui-même. Son père passait à la campagne tous les moments dont il pouvait disposer. Les jeudis, ses enfants allaient le joindre, après avoir fait leur devoir, pour ne revenir qu’à la nuit. Un modeste panier contenait les provisions de la journée ; les deux frères auraient dû se partager, à peu près également, la peine de le porter. Mais le jeune n’osait pas s’en charger dans la ville. Le futur pair de France s’imposa donc pour toujours cette corvée, à condition que Pierre prendrait le panier aussitôt qu’on aurait traversé la ville ; ce qui ne faisait, pour la part de l’aîné, qu’une très-petite partie des deux kilomètres qu’il fallait parcourir alors par de très-mauvais chemins pour arriver à Lussac. Cependant la révolution avait dévié de la bonne route ; à St-Léonard comme partout les prisons se remplirent. L’ancien procureur du roi ne pouvait échapper à son sort ; il fut arrêté des premiers, et l’on parlait de le transférer à Paris ; ce qui aurait presque équivalu à un arrêt de mort. Gay-Lussac, alors âgé de quinze ans, montra une prudence bien au-dessus de son âge, tout en multipliant ses démarches et ses sollicitations. Il voulait aller trouver lui-même dans la Corrèze le commissaire de la convention, d’où dépendait le sort du prisonnier ; un de ses oncles fit ce voyage ; on gagna du temps et la chute de Robespierre vint faire cesser toutes les appréhensions. — Antoine Gay-Lussac, père de cinq enfants, désormais sans place, n’ayant que les revenus d’une modeste propriété, sut bientôt créer autour de lui de nouvelles ressources, grâce à son activité et à sa grande connaissance de l’industrie agricole de son pays. Il vint ainsi à bout de faire sortir ses deux fils de la sphère étroite de leur petite ville. Le plus jeune, Pierre-François, fut destiné aux études médicales, qu’il avait à peine commencées quand il se trouva appelé à l’armée d’Italie comme officier de santé. Plus tard, après les avoir terminées, il revint se fixer à St-Léonard, où, pendant près d’un demi siècle, comme médecin, comme adjoint au maire et surtout comme juge de paix, il jouit à un haut degré de l’estime et de la considération de ses concitoyens. Il mourut le 28 juillet 1854, à l’âge de 75 ans, sans laisser d’héritier mâle. — Quant à Joseph Gay-Lussac, que son père destinait au barreau, après le départ de l’abbé Bourdeix, il continua d’étudier à St-Léonard sous divers maîtres, jusqu’en novembre l’79i. Il fut alors envoyé à Paris, placé d’abord chez M. Savouret, et bientôt après chez M. Censier, maître de pension à Nanterre. La disette, qui ne tarda pas à atteindre son établissement, força M. Censier à renvoyer ses élèves. Mais les rares dispositions que Gay-Lussac avait déjà fait connaître et son excellent caractère le firent excepter de la mesure générale ; il resta en quelque sorte comme membre de la famille. Dès ce moment sa pension fut en grande partie payée avec de la farine envoyée secrètement de St-Léonard, où elle était préparée et emballée par les soins de ses trois sœurs. — Gay-Lussac était ainsi arrivé à l’âge de seize ans sans avoir pu faire des études un peu régulières. Rien d’ailleurs n’avait dû jusque-là appeler spécialement son attention vers l’étude des sciences d’observation, si ce n’est peut-être le goût éclairé de son père pour l’agriculture. Il était surtout complètement étranger aux connaissances mathématiques. Mais une fois que ses idées se trouvèrent dirigées de ce côté, il sut réparer le temps perdu. Le goût des amusements bruyants, ou de tous autres, avait disparu ; celui du travail s’était développé et fortifié. Sa géométrie et son algèbre suivaient Gay-Lussac partout, même, comme le dit Arago, lorsqu’il accompagnait, dans une charrette, madame Censier, que les circonstances avaient transformée momentanément en laitière. Aussi fut-il reçu à l’école polytechnique le 27 décembre 1797, après un brillant examen. Cependant, il faut le dire, c’est alors seulement que, sous l’influence des hommes supérieurs qui l’environnaient, il vit son intelligence prendre réellement son essor. Il comprit d’abord assez peu les leçons d’analyse appliquée à la géométrie données par Hachette. Au contraire Monge, dès sa première leçon, lui rendit l’esprit et le langage de la science presque familiers ; il lui sembla que l’obscurité dont il n’avait pas encore pu pénétrer la profondeur s’était dissipée tout à coup à la voie de l’illustre professeur. Aussi disait-il quelquefois : c’est une leçon de Monge qui m’a appris les mathématiques. La chimie fut immédiatement sa science favorite ; il en rédigea les leçons avec un soin tout particu-