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GAY

Angleterre, et cette société n’a sans doute pas été ingrate envers Gay-Lussac, appelé d’ailleurs à participer aux profits, puisqu’il était sociétaire lui-même. Mais on se tromperait beaucoup si l’on croyait qu’il a généralement tiré un grand profit de ses travaux d’application. C’est l’économie, le bon ordre introduits de bonne heure dans sa maison, qui ont surtout porté leurs fruits peu à peu, et permis à l’illustre chimiste d’agrandir et d’embellir le domaine paternel, Lau-oc. — reportons-nous par la pensée vers 1810, moment le plus brillant du premier empire, époque où il semblait tout naturel d’entendre dire autour de soi : la grande armée, le grand Napoléon, la grande nation. Comme les préoccupations politiques avaient profondément agité l’esprit national, les produits de l’imagination, flétris plus tard sous le nom de lülératare de fmpire. excitaient peu de sympathies. Les sciences au contraire avaient déjà pris un immense développement, et l’on s’y adonnait partout avec ardeur. Les besoins de la guerre, l’isolement de la France avaient excité au plus haut degré l’esprit d’invention ou de perfectionnement. l’enseignement parisien venait de prendre son essor dans toutes les facultés : par son ensemble et par sa méthode, il ne ressemblait à rien de ce que l’on avait pu créer à aucune époque et dans aucun pays. Car, si, par exemple, la laborieuse et profonde Allemagne savait faire des lecture : et des dissertations, Paris seul à cette époque savait faire des cours. l’illustre phalangc des Mange, Laplace, Lagrange, Legendre, Carnot, Cuvier, Bertholet, Chaptal (Fourcroy venait de mourir), Vauquelin, Biot, Gay-Lussac, Thénard, Brongniart, Haiiy, Arago, Poisson, Dulong, de Jussieu, llirbel, Decandolle, que nous avons vue marcher d’un paségal pour les progrès de la science, brillait alors d’un éclat européen. La médecine, le droit, la philosophie étaient d’ailleurs représentés par des hommes dignes de figurer à côté de ceux qu’on vient de nommer. Cette aristocratie du mérite, dans un pays où il n’y en avait plus ou pas encore d’autres, présentait un point d’appui que le pouvoir n’avait pas dû négliger. On y prenait donc des ministres et surtout des sénateurs. Napoléon voulait d’ailleurs fournir ainsi d’une manière convenable à ces hommes éminents les moyens de faire les honneurs de la France aux savants étrangers. Vint bientôt la restauration : bienveillante de sa nature, elle essaya timidement de se populariser en amalgamant dans des proportions insuffisantes le présent avec le passé. Quelques savants furent choyés et admis sur les bancs parlementaires, où ils restèrent cependant isolés jusqu’en 1850. Alors le pouvoir nouveau et les électeurs appelèrent à l’envi dans les deux chambres les membres des Académies. Gay-Lussac lit comme les autres et se trouva nommé député de son département en 1851. Mais la coalition ayant vers 1858 soulevé des prétentions auxquelles il ne pouvait prêter un loyal concours, il le déclara aux électeurs du 2e arrondissement de Limoges, dans une lettre pleine de franchise et de haute raison. C’est pourquoi il cessa d’être leur mandataire. Le gouvernement en nommant Gay-Lussac à la chambre des pairs (1859) reconnut autant qu’il était en lui les services de premier ordre qu’il avait rendus à la science et à la société. Son rôle parlementaire dans cette nouvelle position fut, comme on le pense bien, ce qu’il devait être de la part d’un homme étranger aux coteries politiques. Ne prenant la parole que dans des circonstances toutes spéciales, il occupa peu les organes de la presse jusqu’en 1847.-Alors naquit et grandit, sous le patronage du très-honorable M. Demesmay, la fameuse questionnera réduction de la taxe du nl. Nous avons là sous la main neuf brochures qui forment un ensemble de cinq cent quatorze pages, et nous n’avons pas la prétention d’avoir recueilli tout ce qui a été publié à cette occasion par M. Demesmay ou par ses adhérents. À côté se trouve un petit in-8° de trente-quatre pages : c’est le rapport fait à la chambre des pairs le 2 août 1847 ; rapport dans lequel Gay-Lussac combat et réduit à néant, par un court exposé de faits positifs bien constatés, les prétentions agricoles, hygiéniques et même pécuniaires de ses adversaires. En laissant de côté la question pécuniaire, dont personne ne s’inquiète plus aujourd’hui, ces prétentions si largement soutenues se réduisent à ces deux points : 1° L’influence du sel sur les animaux commence à leur naissance et continue ses bienfaits pendant leur vie entière : il contribue à la taille, il assure la santé, il facilite l’engraissement :

Ein Pfund Salz macht zehn: Pfund Schmalz.

2° Les bons effets du sel sur les terres ne sont pas plus douteux que ses bons effets sur les animaux.

— Or, il est bien reconnu aujourd’hui que l’influence du sel est nulle dans le premier cas et presque nulle dans le second : le sel plait aux animaux comme le sucre aux enfants ; il peut les rendre plus dociles quelquefois, mais il ne contribue ni à la taille, ni à la graisse, et il n’arrête pas les maladies épizootiques. Si la place ne nous manquait pour entrer dans le détail de cette discussion, on comprendrait combien un homme, ennemi comme Gay-Lussac du bavardage scientifique, devait faire peu de cas de cet ensemble d’autorités usurpées, de traditions surannées, qu’on invoquait contre son opinion dans les journaux comme dans les brochures. Il rendait, au reste, pleine et entière justice à la loyauté de son principal adversaire, avec lequel il avait souvent discuté, chez lui, de vive voix, les questions qui les occupaient tous deux. M. Demesmay, de son côté, ne mit jamais en doute la bonne foi et la profonde conviction de Gay-Lussac. C’est donc avec un grand étonnement que nous avons lu, dans une publication récemment faite à Limoges, à propos de ce projet de loi sur le sel, la phrase suivante : « Le savant que la couronne avait com-