Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 16.djvu/91

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

blé d’honneurs faiblit devant elle. » Heureusement, on n’a pas encore oublié qu’Arago reprochait assez amèrement à cette même couronne d’avoir beaucoup tardé à donner la pairie à Gay-Lussac. Ce serait donc manquer à la mémoire de notre grand chimiste que de chercher à réfuter une aussi étrange assertion. — Nous dirons même qu’on pourrait tout aussi bien l’accuser d’avoir faibli devant les marchands de vins, puisque dans la séance du 21 juin 1844, se séparant seul de la majorité de la commission, il exposa et développa son opinion contre le projet de loi relatÿ’ à la fal-vÿication des vin : : cette question, qui avait alors, de tous côtés, un grand retentissement, fut traitée par Gay-Lussac comme il aurait traité une question purement scientifique, sans se préoccuper de l’impopularité qui pouvait en résulter pour lui. Son devoir était de combattre ce qu’il croyait mauvais, et il l’accomplissait pleinement, à tout risque et tout péril. Aussi déclara-t-il, sans détour, à la fin de sa dissertation, que le projet de loi était sans aucune consistance, que la base en était fausse, le but chimérique et l’exécution impossible.

— Tel était donc Gay-Lussac : à la chambre des pairs, dans son laboratoire comme dans ses salles de cours, sa haute logique et sa profonde intelligence ne lui faisaient jamais défaut. Il procède mathématiquement, écarte les accessoires, attaque de front les difficultés et ne cherche jamaisà produire ce que l’on appelle de l’effet. Rarement il abandonne une question sans l’avoir complétement résolue. S’il trouve chemin faisant des points encore inaccessibles, il enfait l’aveu, comme nous l’avons remarqué en parlant de quelques-uns de ses travaux. Plusieurs fois, à notre connaissance, il a reconnu* franchement et sans détour qu’il s’était trompé. C’est dans cette franchise, par rapport à ses propres erreurs, que se trouve Pexplication de la vivacité qu’il portait dans les discussions de doctrines ou de priorité auxquelles il a dû prendre part. Mais cela ne l’a pas empêché de se montrer toute sa vie juge impartial et bienveillant des travaux des autres, applaudissant à leurs succès, et ne voyant toujours que le résultat final, les progrès de la science : ennemi d’ailleurs de l’oisiveté, et par suite peu accessible aux importuns de tous les degrés. — Dans ses dernières années il allait plus souvent et il séjournait plus longtemps à Lussac. Le professorat lui était devenu pénible = il souffrait sans se rendre bien compte de la nature de son mal. Rien pourtant, dans ce corps grand, droit, robuste, n’indiquait à l’extérieur un notable affaiblissement, une fin si prochaine. Son activité intellectuelle paraissait n’avoir rien perdu de son énergie. S’il prend plaisir à suivre les travaux des champs, à faire soigner son vaste jardin, c’est pourtant dans son laborawlrq qu’on le trouve le plus souvent. Dans la partie de la maison la mieux soustraite aux distractions de tout genre, au premier étage, deux pièces ont été ménagées pour recevoir l’une les livres et les instruments de précision, l’autre le laboratoire. Rien ne manque à ce damier : produits chimiques de toute sorte, expériences qui s’achèvent, appareils prêts à fonctionner. Tout indique à ceux qui peuvent arriver jusque-là que les plaisirs de la campagne sont encore sacrifiés aux besoins incessants de faire progresser la science. Et pourtant ce sol natal, ce pays accidenté, cette riche verdure, ce patois même dont il aime à recueillir les expressions souvent originales, réagissent fortement sur l’âme si aimante de Gay-Lussac. « Pour mon compte, écrivait-il à l’un de ses parents, je suis content que tu viennes passer tes vieux jours aux mêmes lieux où s’est écoulée ta première jeunesse. Tu éprouves sans doute le même sentiment que moi : tout le temps que j’ai passé loin du pays où je suis né s’est écoulé comme un songe. Le temps de mon enfance me paraît se perdre dans le passé le plus lointain, et c’est par ces souvenirs confus que je crois avoir longtemps vécu. Dans un âge avancé ces souvenirs sont pleins de charmes, etc. » (Lussac, 18 mars 1849.) Mais neuf mois après il disait à la même personne : Mon pauvre ami, je croyais bien que nous resterions plus longtemps ensemble. — À Lussac comme à Paris, c’est toujours de très-bonne heure, entre quatre et cinq heures du matin, quelle que soit la saison, que Gay-Lussac se met au travail. La petite table et le livre dont parle Arago sont là à leur place spéciale : le registre est régulièrement tenu comme dans la capitale. Chaque jour il reçoit la note des expériences achevées ou essayées, de la durée d’une opération, etc. ; une de ces notes se rapporte à quelques essais faits sur des mélanges réfrigérants. Elle est, nous croyons, datée du 31 décembre 1849. C’est la dernière..... Gay-Lussac s’est donc mis au lit le 1er janvier 1850 pour ne plus se relever ! Après deux mois de souffrances, il y eut un moment d’espoir. On proftta de cette légère amélioration pour le transporter à Paris. Il y trouva tout ce que la science de la médecine peut offrir de lumières et de dévouement dela part de ses vieux amis MM. Magendie et Serres ; tout ce que l’attachement le plus profond peut produire de soins intelligents de la part de son élève bl. le docteur Larivière. Le mieux parut d’abord se soutenir ; mais l’espoir qu’il faisait naître n’eut pas une longue durée. Entouré de toute sa famille et de son vieil ami de Gbamberet, Gay-Lussac mourut, comme nous l’avons dit, le 9 mai 1850, à l’âge de 71 ans et 6 mois. Quatre jours après tl. de Humboldt écrivait à madame Gay-Lussac : « l’amitié dont m’a honoré ce grand et beau caractère a rempli une belle portion de ma vie : personne n’a réagi plus fortement, je ne dis pas seulement sur mes études, qui avaient besoin d’être fortifiées, mais sur l’amélioration de mon sentiment, de mon intérieur. Quel souvenir que la première rencontre chez M. Bertholet à Arcueil ! mon travail journalier à Pan-