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Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 19.djvu/215

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Vallière, beaucoup d’influence sur le roi ; mais cette jeune personne, tout entière à son amour, restait étrangère aux calculs de l’intrigue : aussi sa perte fut-elle résolue, et tous les efforts se réunirent pour lui faire préférer mademoiselle de la Mothe-Houdancour, fille du maréchal de ce nom, en qui l’on espérait trouver plus de soumission. Le comte de Guiche portait Madame à cette démarche, et Vardes y excitait la comtesse de Soissons. Tous deux supposèrent une lettre espagnole, écrite à la reine par le roi son père, pour l’informer de la liaison de Louis XIV avec mademoiselle de la Vallière. Cette lettre fut remise au roi, et comme il s’en était ouvert à quelques-uns de ceux qui l’approchaient de plus près, Vardes, consulté à son tour, dirigea les soupçons de son maître sur la duchesse de Navailles, insinuation que la vertu austère de cette dame rendait vraisemblable, et elle ne put se soustraire à sa disgrâce. La véridique madame de Motteville pensa même s’y trouver enveloppée. Ce ne fut qu’en 1661 qu’une nouvelle intrigue fit connaître au roi les vrais auteurs de la lettre. Le comte de Guiche, obligé de s’expatrier, avait chargé Vardes d’entretenir Madame dans les sentiments favorables qu’elle lui portait. Celui-ci, honoré des bontés de la princesse, admis même dans sa confidence, conçut le projet de perdre son ami dans l’esprit d’Henriette, et de la tenir dans sa dépendance en se constituant le dépositaire obligé des lettres du comte. Cette dangereuse correspondance avait été confiée à mademoiselle de Montalais. Vardes représente à Madame l’importance dont il était pour elle de retirer un tel dépôt et de l’anéantir ; puis, quand il s’en vit possesseur, il refusa de s’en dessaisir. Les entretiens particuliers qu’entraînaient ces négociations excitèrent la jalousie de la comtesse de Soissons : elle crut que Madame cherchait à lui enlever son amant, et elle ne mit plus de bornes à son ressentiment. Les choses en étaient là quand Vardes rencontra le chevalier de Lorraine, et eut avec lui une conversation que ses suites ont rendue importante. Après qu’ils se furent loués réciproquement, et félicités sur le bon goût de leurs ajustements, Vardes fit les honneurs de sa personne ; il reconnut qu’il ne lui appartenait plus de prétendre aux succès de la première jeunesse ; « Mais pour vous, dit-il au chevalier, vous ètes d’âge et d’état à tout entreprendre ; jetez le mouchoir, et il n’y a point de dame à la cour qui ne le relève. » Le chevalier de Lorraine répéta cette conversation au marquis de Villeroy, l’ennemi de Vardes, qui courut aussitôt chez Madame et lui rapporta que Vardes avait dit au chevalier « qu’il avait tort de s’amuser aux soubrettes, et que, fait comme il était, il devait s’adresser à la maîtresse ; que même il y aurait plus de facilités. » Henriette, indignée, en instruisit aussitôt le roi, et Vardes fut mis à la Bastille. Outrée de la disgrâce de son amant, la comtesse de Soissons se répandit en

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discours injurieux contre Madame, et elle poussa l’animosité jusqu’à faire connaître à Louis XIV le secret de la correspondance de la duchesse d’Orléans avec le comte de Guiche. Réduite à cette extrémité, Henriette avoua franchement ses torts à son beau-frère ; mais elle lui révéla en même temps le dangereux mystère de la lettre espagnole. Le roi, indigné d’avoir été joué par un homme qu’il admettait dans sa familiarité, fit conduire Vardes à la citadelle de Montpellier, et le comte de Soissons fut renvoyé, ainsi que sa femme, dans son gouvernement de Champagne. Si Madame était sans cesse agitée par ces intrigues de cour, elle ne trouvait pas plus de calme dans l’intérieur de sa maison ; Cette princesse, douée de toutes les qualités qui peuvent le plus attacher un mari, n’avait pu parvenir à se faire aimer de Monsieur. Le chevalier de Lorraine, successeur du comte de Guiche dans la faveur du prince, le gouvernait despotiquement. Madame se plaignait souvent ; lasse enfin de l’inutilité constante de ses plaintes, elle eut recours au roi, et le chevalier eut l’ordre de se rendre en exil. Monsieur en conçut un chagrin mortel ; il se jeta au pied du roi, et voyant qu’il n’en pouvait rien obtenir, il se résigna en apparence : mais ce fut pour s’en venger sur Madame, en l’abreuvant d’amertumes. Daniel de Cosnac, évêque de Valence, premier aumônier de Monsieur, s’était montré attaché aux intérêts de la princesse ; il avait même eu le courage de faire des représentations, qui avaient déplu. Monsieur lui fit éprouver des désagréments si réitérés, que le prélat fut obligé de quitter la cour. Il continua néanmoins d’entretenir une correspondance avec Madame : la conduite qu’il tint envers cette princesse fut noble et généreuse ; son dévouement alla jusqu’à s’exposer pour elle à une disgrâce assurée (1)[1]. L’aveu que Madame avait fait au roi lui-même de la part qu’elle avait prise à la lettre espagnole avait singulièrement refroidi celui-ci pour elle ; et cette disgrâce durait encore, lorsqu’un grand intérêt politique rapprocha Louis XIV de sa belle-sœur. Il méditait en 1670 la ruine de la Hollande et ne pouvait y parvenir qu’en détachant Charles II de la triple alliance qui unissait à cette puissance l’Angleterre et la Suède. Le marquis de Croissy avait été envoyé à Londres ; on l’y avait bien accueilli ; mais rien ne se terminait. Le roi, connaissant l’intimité qui existait entre Madame et son frère, crut que par son entremise il obtiendrait plus facilement ce qu’il désirait. Il rendit donc ses bonnes grâces à la princesse et lui communiqua son dessein. Flattée de l’importance de la mission, Madame consentit à s’en charger ; mais elle refusa positivement d’avoir aucun rapport avec Louvois,

(l) Voy. COSNAC et les Mémoires de Daniel de Cosnac, publiés par le comte Jules de Cosnac, pour la société de l’histoire, de France. Paris, Jules Renouard, 1852, in-8o•. On y trouve des détails plus étendus que ceux que l’on rencontre dans les Mémoires de l’abbé de Choisy.

  1. (l) Voy. COSNAC et les Mémoires de Daniel de Cosnac, publiés par le comte Jules de Cosnac, pour la société de l’histoire, de France. Paris, Jules Renouard, 1852, in-8o•. On y trouve des détails plus étendus que ceux que l’on rencontre dans les Mémoires de l’abbé de Choisy.