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à trente milles dans le S. S. E. de l’embouchure du fleuve, et poursuivit sa route au S. S. 0. Les longues fatigues de Hearne lui avaient mis les pieds dans le plus mauvais état; il ne put cependant jouir de quelque repos que lorsque les Indiens eurent rejoint leurs femmes qu’ils avaient laissées en arrière. Dès la fin de septembre, les lacs étaient gelés; le 6 octobre un coup de vent renversa les tentes ; le quart de cercle de Hearne, quoique renfermé dans un étui, fut brisé. Le 9 janvier 1772 notre voyageur atteignit l’extrémité sud du lac Athapusco, qui est le même que le lac de l’Esclave, de Mackensie. Le 27, on fit route à l’est; le reste du voyage fut très-pénible. On éprouva une disette telle que des Indiens moururent de faim. Enfin, le 30 juin, Hearne arriva en bonne santé au fort, après une absence de dix-huit mois et vingt-trois jours. En 1773 la compagnie lui écrivit une lettre de félicitation, et lui accorda une gratification. Toujours occupé de ce qui pouvait être avantageux aux intérêts de ceux dont il avait la confiance, il établit en 1774 le comptoir de Cumberland dans l’intérieur des terres. Le gouverneur étant mort en 1773, Hearne fut nommé son successeur. En 1782 une escadre française, commandée par la Pérouse, s’empara du fort, le fit sauter, et détruisit ou emporta tout ce qui appartenait à la compagnie anglaise. Le manuscrit du voyage de Hearne, qui fut trouvé parmi ses papiers, eût pu être considéré comme étant la propriété de la compagnie, puisque l’expédition avait été entreprise par ses ordres ; sur les instances de Hearne, la Pérouse le lui rendit, à condition qu’il le publierait dès qu’il serait de retour en Angleterre. En 1785 Hearne fit rebâtir le fort, qui fut mis en meilleur état de défense qu’auparavant. Il revint en Angleterre, en 1787, jouir de la fortune modeste qu’il avait acquise par de longs travaux, et mourut en 1792. Le résultat de ses voyages, comme on le voit par l’introduction qui précède le troisième voyage de Cook, était connu longtemps avant qu’il les fit paraitre. Hearne, lorsqu’il entreprit ses courses, pensait peu qu’un jour ses observations seraient rendues publiques ; instruit que plusieurs personnes possédaient des copies manuscrites ou des extraits de ses journaux, il les refondit en un seul, et prit le parti de le publier, parce que les copies différaient entre elles sur des points essentiels. Il obtint de la compagnie de la baie d’Hudson la permission de recourir aux documents originaux qu’il avait envoyés dans le temps, et mit son travail en état d’être imprimé ; il le fut Sous ce titre: Voyage du fort du Prince de Galles, dans la baie d’Hudson, à l’Océan septentrional, entrepris par l’ordre de la compagnie de la baie d’Hudson, dans les années 1769, 1770, 1771 et 1772, et exécuté par terre pour la découverte de mines de cuivre, d’un passage au nord-ouest, etc., Londres, un vol. in-4o, fig. et cartes. Cette relation, une de celles qui ont répandu le plus grand jour sur un des points les plus essentiels de la géographie, fait beaucoup d’honneur à son auteur. On reconnaît en lui un homme courageux, zélé, persévérant, doux, humain, éclairé, bon observateur; il intéresse infiniment par son récit qui porte le cachet de la candeur. Dalrymple, qui rêvait toujours le continent austral et le passage du nord ouest, avait eu communication des journaux de Hearne, et dans un mémoire sur la navigation de la baie d’Hudson et des parages voisins, il le chicana sur plusieurs points qui ne s’accordaient pas avec ses idées, et lui reprocha de n’avoir ni fait assez d’observations de latitude, ni expliqué la construction du quart de cercle qui avait été brisé. Hearne, dans sa préface, répond avec beaucoup de modération aux inculpations de Dalrymple, dont il prouve la futilité ; il justifie ensuite dans son introduction la compagnie accusée d’être ennemie des découvertes; inculpation peut-être vraie au commencement de son existence, et soutenue ultérieurement par les calomnies d’Ellis, de Dobs, de Middleton, etc., mais démentie par les faits qu’il rapporte. Un passage des instructions de Hearne qui ne fait pas honneur à cette association commerciale, est celui, où elle recommande à son agent d’exciter les Indiens à se faire la guerre entre eux. D’après le voyage de Hearne, le fameux passage au nord-ouest n’existerait pas où on le plaçait jadis. Son expédition et celle de Mackensie donnèrent lieu de présumer que le continent de l’Amérique septentrionale ne s’étend pas beaucoup au delà du, 71° parallèle[1]. Quoi qu’il en soit, Hearne n’en a pas moins rendu des services essentiels à la géographie. Peu de voyageurs ont fait une course plus pénible que lui ; c’est toujours à pied, et souvent chargé d’un fardeau pesant, qu’il a parcouru près de treize cents milles avant d’arriver à la mer, presque toujours entre des rochers âpres et des bois stériles. Il dépendait de la chasse pour sa subsistance, et quelquefois il était réduit à une pipe de tabac et à trois verres d’eau par jour. Seul Européen au milieu d’une troupe de sauvages livrés à toutes leurs passions, sa position ne cessait pas un instant d’être critique. Un seul des Indiens le protégeait; il lui a payé le tribut de sa vive reconnaissance. Le tableau qu’il trace de toutes ces hordes si vantées par quelques écrivains, prouve que la simple nature n’est belle qu’au tant que la civilisation l’a dépouillée de sa grossièreté primitive. Ses observations sur ces hordes en font connaître plusieurs sur lesquelles l’on avait bien peu de notions; il donne également de très-bons détails sur les animaux et sur les végétaux de ces régions arctiques, et réduit beaucoup le merveilleux que des voyageurs plus anciens avaient mis dans leurs narra-

  1. En 1861, la certitude du passage au nord-ouest a été définitivement constatée. Cette découverte est due au capitaine anglais Mac-Clure (voy. à ce sujet l’article ELLIS note). Z.