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moires, livre 6). On a souvent réimprimé les œuvres d’Helvétius. Les éditions les plus complètes ont paru en 1795 ; l’une chez Servière, 8 vol. in-8o; l’autre chez P. Didot, 14 vol. in-18. Les passages cartonnés du livre de l’Esprit y sont restitués. L’édition de Servière comprend les Progrès de la raison dans la recherche du vrai, morceau de 130 pages, inséré pour la première fois dans une édition de Londres, 1777, 2 vol. in-4o, et qui n’appartient pas à Helvétius, puisque le légataire de ses papiers, l’abbé Lefebvre de la Roche, lui a refusé place dans celle de Didot, à laquelle il a présidé. Cette dernière édition est augmentée de cent soixante Pensées et réflexions détachées, extraites des manuscrits de l’auteur, à la réputation duquel elles n’ajoutent rien. Vraisemblablement elles faisaient partie des matériaux de l’Esprit et de l’Homme ; ouvrages où la plupart de ces pensées se retrouvent en substance. Lefebvre de la Roche a donné, de plus, deux nouvelles lettres, qu’Helvétius lui avait adressées sur la constitution d’Angleterre, et sur l’instruction du peuple. Enfin, il prétend que la première édition de l’Homme a été faite, on ne sait comment, en Hollande (1772), sur une copie envoyée, en 1767, à un savant de Nuremberg, qui devait traduire ce livre et le faire paraître d’abord en allemand, afin d’éviter les persécutions de l’ancien despotisme. Il affirme que, depuis l’envoi de cette copie en Allemagne, l’auteur avait corrigé et perfectionné son travail ; que beaucoup de notes en ont été retranchées ou fondues dans le texte ; que des chapitres entiers ont été refaits ou supprimés. C’est avec ces changements qui n’ont pourtant pas. toute l’importance annoncée par l’éditeur, que Didot a imprimé le livre de l’Homme. Comment la première édition de cet ouvrage a-t-elle pu se faire sur une copie envoyée, en 1767, à Nuremberg ? L’auteur, dans sa préface, parle d’événements arrivés au commencement de 1771. Une correspondance plus ou moins étendue se trouve dans presque toutes les éditions des œuvres d’Helvétius. Elle se compose en très-grande partie de lettres de Voltaire, dont plusieurs sont pleines d’excellents conseils sur l’art des vers. On doit à François de Neufchâteau la connaissance d’une Épître sur l’orgueil et la paresse de l’esprit, dont Helvétius a soumis à l’auteur de la Henriade jusqu’à trois leçons successives (Le Conservateur, t. 2). Cette épître fut abandonnée ; mais les meilleurs vers et les détails principaux en ont depuis été placés dans le poëme du Bonheur. Le Magasin encyclopédique a publié (1814) une autre Epître sur l’amour de l’étude, à madame Duchastelet, par un élève de Voltaire, avec des notes du maître ; et l’on annonce qu’on en ignore l’auteur. Cette ébauche informe d’une muse encore novice est certainement d’Helvétius. Il en est question dans trois ou quatre lettres de Voltaire, surtout dans la première du recueil. « Plutus, écrit-il, ne doit être que le valet de chambre d’Apollon ; le tarif est bientôt

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connu ; mais une épître en vers est un terrible ouvrage : je défié vos quarante fermiers généraux de la faire. Madame Duchastelet vous remercie ; allons, qu’uh ouvrage qui lui est adressé soit digne de vous et d’elle. » (Cirey, 4 décembre 1738.) L’original de cette pièce est déposé à la bibliothèque de Paris. Les vers sont écrits, de la main d’Helvétius, sur le recto des pages ; et le verso est couvert de remarques, où l’on reconnaît l’écriture de Voltaire, et les traits saillants qui lui échappaient, même dans ce qu’il rédigeait à la hâte. Quoique ce dernier n’ait cessé de prodiguer des témoignages d’estime et d’amitié à son disciple, il ne lui pardonnait pas d’avoir dit : « M. de Crébillon exprimera ses idées avec une force, une chaleur, une énergie qui lui sont propres ; M. de Fontenelle les présentera avec un ordre, une netteté, un tour qui lui sont particuliers ; M. de Voltaire les rendra avec une imagination, une noblesse et une élégance continues » (de l’Esprit, discours 4, chapitre S). L’homme qui prétendait à l’universalité des talents, ne pouvait être flatté de ce parallèle ; et c’est probablement Ce qui lui faisait écrire à Marmontel, un mois après la mort d’Helvétius : « Je n’avais pas beaucoup à me louer de lui » (Lettre du 26 janvier 1772). On lit dans ses Questions sur l’Encyclopédie (article Quisquis), une critique superficielle du livre de l’Esprit. Didot a joint à l’Esprit des lois (édition de 1795), les notes qu’Helvétius avait écrites sur les marges de son exemplaire. L’auteur de l’Esprit ne devait pas applaudir à la circonspection de Montesquieu, dont le génie, mûri par l’expérience, a voulu plutôt justifier les idées reçues qu’en établir de nouvelles. Une tête systématique, accoutumée à chercher un principe unique là où il y en a plusieurs , ne pouvait guère admettre les balances compliquées des pouvoirs intermédiaires, et les combinaisons variées des divers gouvernements. En 1792, la municipalité de Paris donna le nom d’Helvétius à la rue Sainte-Anne, où il logeait, et qui a repris, en 1814, son ancien nom.

— Madame HELVÉTIUS, née en 1719 au château de Ligniville, en Lorraine, avait eu vingt et un frères ou sœurs. Après avoir perdu son mari, qu’elle aimait passionnément, et dont elle partageait les inclinations bienfaisantes, elle choisit le séjour d’Auteuil, où elle a toujours vécu. Turgot et Franklin voulurent l’épouser. Sa maison était un point de réunion pour les hommes les plus célèbres. Peu après son retour d’Egypte, Bonaparte vint pour ainsi dire y déposer les faisceaux consulaires. Se promenant dans son jardin avec l’ambitieux conquérant, madame Helvétius lui dit : « Vous ne savez pas combien on peut trouver de bon heur dans trois arpents de terre. » Elle est morte le 12 août 1800, au milieu d’amis qui demeuraient chez elle et qu’elle n’oublia pas dans son testament. Entre autres dispositions, elle laissa la jouissance de sa maison à Lefebvre