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parvint à ramener dans les voies de la vertu son frère, à qui il avait abandonné la plus grande partie de sa fortune. Bientôt, pour compléter son noviciat, et mériter à bon droit le titre de pythagoricien, il s’assujettit aux cinq années de silence prescrites par le philosophe à ses disciples. Pendant ce temps il visita plusieurs villes de Pamphylie et de Cilicie, sans prononcer une seule parole. Philostrate rapporte à cette époque de sa vie plusieurs faits extraordinaires ; c’est ainsi que, dans la ville d’Aspenda, quelques mots écrits sur des tablettes lui suffirent pour calmer une sédition causée par la cherté des grains. Lorsque le temps du silence fut expiré, Apollonius visita Antioche, Éphese, et d’autres villes, se liant partout avec les prêtres. Bientôt le bruit de sa sagesse se répandit dans toute l’Asie Mineure ; de toutes parts on venait le consulter comme l’homme le mieux instruit dans tout ce qui concernait le culte des dieux, les cérémonies, les sacrifices, les oracles. Il recommandait le respect des anciens, condamnait les nouveautés, s’efforçait de ramener la religion a sa pureté et à sa simplicité primitives. Il annonçait sa doctrine d’un ton d’autorité, et lorsqu’on lui en demandait la raison, il répondait : « Quand j’étais jeune, je cherchais la vérité ; maintenant je dois enseigner ce que j’ai appris : un sage doit parler en législateur, et ordonner au peuple la doctrine qu’il embrasse. » Après un séjour de huit années à Antioche, il forma la résolution d’aller, comme Pythagore, visiter les mages de Babylone et les brahmes de l’Inde. Il communiqua ce dessein à ses disciples, qui étaient au nombre de sept ; mais, sans refuser de le suivre, ils manifestèrent la crainte que leur inspiraient les fatigues et les dangers d’un si long voyage. Apollonius partit sans eux et leur dit en les quittant : « J’avais cru que je trouverais dans votre cœur le même courage que dans le mien ; mon espoir a été déçu. Restez ici en paix, et étudiez paisiblement la philosophie ; moi, j’irai où la sagesse m’inspire d’aller : les dieux me conduiront. » Il quitta Antioche, suivi seulement de deux valets, et se rendit à Ninive, où le hasard lui offrit un nouveau disciple, nommé Damis, qui devint son compagnon fidèle et lui demeura attaché toute sa vie. Ce jeune homme, qui était versé dans les langues de l’orient, fut très-utile à son maître dans son voyage, et professa constamment pour lui un respect religieux qui allait souvent jusqu’à la superstition. De Ninive ils allèrent à Babylone. Comme ils passaient par une ville nommée Zeugma, le péager invita le philosophe à déclarer ce qu’il avait avec lui, afin d’en acquitter les droits. « J’ai, répondit-il, justice, constance, sagesse, tempérance, modestie, patience, magnanimité, continence et courage » Cet homme, s’imaginant avoir affaire à un marchand d’esclaves, le pria de répéter sa liste. « Ce ne sont pas des esclaves, reprit Apollonius ; ce sont mes compagnes, mes souveraines, celles aux lois desquelles je me suis soumis, et dont le conseil m’est toujours nécessaire. » Le préposé, s’apercevant de sa méprise, laissa aller le philosophe. Arrivé à Babylone, il répondit au satrape qui lui demandait d’où il venait, et qui l’avait envoyé : « Je ne reçois d’ordres de personne ; c’est moi qui m’envoie moi-même. La terre est à tous les hommes ; c’est notre patrie commune. Elle m’appartient ainsi qu’a vous, et j’ai le droit de la parcourir tout entière, sans que personne, à moins d’être un tyran exécrable, puisse s’y opposer. » À Babylone, il conversa avec les mages. En entrant dans le palais du roi, il montra son mépris pour la grandeur, en conversant avec Damis, comme s’ils eussent été en voyage, sans jeter les yeux sur les objets magnifiques dont ils étaient entourés. Apollonius n’en devint pas moins agréable au roi, qui lui offrit des présents qu’Apollonius refusa, et reçut de lui un grand nombre d’excellents conseils. Au bout de quatre mois employés à converser avec les mages, Apollonius prit la route de l’Inde, alors gouvernée par un roi nommé Phaortes qui résidait à Taxilas. Ce prince lui fit un accueil plein de bienveillance, et lui donna, pour le chef des philosophes, ou gymnosophistes indiens, une lettre ainsi conçue : « Le roi Phraortes, à son maître Iarchas et aux sages qui sont avec lui : Apollonius, homme très-sage, pensant que vous êtes plus sage que lui, vient vous voir, pour prendre connaissance de votre sagesse. Faites-lui part librement de tout ce que vous savez, et soyez assuré que vos instructions ne seront point perdues. Il est le plus éloquent des hommes, et a une excellente mémoire. Ses compagnons aussi méritent votre bon accueil, puisqu’ils savent aimer un pareil homme. » Après un séjour de quatre mois parmi les Indiens, Apollonius revint à Babylone, passa de la en Ionie, et visita plusieurs villes[1]. Telle était la renommée qu’il avait alors acquise, que, lorsqu’il entra dans Éphèse, les artisans même quittèrent leurs travaux pour le voir. On assure qu’il prédit aux Éphésiens l’approche d’une peste, et de plus des tremblements de terre qui eurent lieu ensuite dans l’Ionie. À Pergame, et sur l’ancien emplacement de Troie, il passa seul une nuit sur le tombeau d’Achille, et ses disciples racontèrent dans la suite que, par le pouvoir d’un sortilège qu’il avait appris dans l’Inde, il avait évoqué ce héros de sa tombe, et avait eu un entretien avec lui. À Lesbos, il conversa avec les prêtres d’Orphée. De la il fit voile pour Athènes, où il s’attacha à réformer les abus qui s’étaient introduits dans toutes les parties du culte. L’hiérophante, jaloux peut-être de son pouvoir sur la multitude, ne voulut pas le recevoir aux saints mystères, sous prétexte qu’il empruntait les secours de la magie ; cependant, peu d’années après, il fut admis. Il parla aux Athéniens de sacrifices, de prières, de la corruption de leurs mœurs, etc. Il visita encore Lacédémone, Olympie, et d’autres villes de la Grèce, obtenant partout la confiance et les hommages des peuples. De la Crète, Apollonius vint à Rome : Néron venait de rendre

  1. Il rassemblait le peuple dans les lieux publics pour ; lui enseigner sa doctrine ; il recommandait surtout l’amour du travail, la fraternité et la communauté des biens. Son éloquence, simple et naturelle, empruntait ses effets des circonstances du moment ; elle affectait souvent les formes populaires de l’apologue, et exerçait ainsi une influence puissante sur l’esprit de la foule. C. W-r.