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un édit pour bannir de la ville tous ceux qui pratiquaient la magie. Apollonius sentit qu’il pouvait être compris dans cette mesure, mais il n’en vint pas moins à Rome avec huit de ses compagnons : de trente quatre qui l’avaient suivi en Italie, ils étaient les seuls qui fussent restés avec lui. Il fut conduit, le lendemain de son arrivée, au consul Télésinus, qui lui accorde la permission de visiter les temples et de converser avec les prêtres. Son biographe rapporte que, dans cette ville, il ressuscita une jeune femme. Dénoncé au préfet du prétoire pour des paroles trop libres qu’il avait prononcées contre Nénon, il fut renvoyé absous ; mais peu après un nouvel édit contre les philosophes le força de quitter Rome. Il alla visiter les pays de l’occident, parcourut la Gaule et l’Espagne, où il excita un gouverneur de la Bétique à se révolter contre Néron. Après la mort de cet empereur, il, retourna en Italie, puis en Grèce, d’où il passa en Égypte, où Vepasien cherchait à établir son pouvoir. Ce prince connut ce que valait un auxiliaire tel qu’Apollonius, ayant un grand pouvoir sur le vulgaire, et se l’attacha en le consultant comme une espèce d’oracle. En retour, le philosophe employa son influence sur le peuple en faveur de Vespasien. Pendant son, séjour en Égypte, Apollonius fit un voyage en Éthiopie. À son retour, il fut reçu favorablement par Titus, qui le consulta sur des affaires du gouvernement. Sur ce que cet empereur avait refusé la couronne de la victoire, après la prise de Jérusalem, Apollonius lui écrivit cette épître laconique : « Puisque vous refusez d’être applaudi pour une victoire sanglante, je vous envoie la couronne de la modération. Vous savez à quelle sorte de mérite des couronnes sont dues. » À l’avènement de Domitien, il fut accusé d’avoir excité une sédition dans l’Égypte en faveur de Nerva, se présenta volontairement devant le préteur, et fut acquitté. Apollonius passa ensuite en Grèce, visita le temple de Jupiter Olympien, l’antre de Trophonius en Arcadie, et d’autres lieux célèbres dans les fastes religieux. Il s’établit enfin à Éphèse, où il ouvrit une école pythagoricienne, et eut plusieurs disciples. On dit (Dion Cassius, liv. 57 ; Philostr., liv. 8, c. 26) qu’au moment où Domitien périt, Apollonius, au milieu d’une discussion publique, s’arrêta, et, changeant de voix, s’écria : « Bien, bien, Stéphanus, courage ! tue le tyran. » Ensuite, après un léger intervalle, il reprit : « Le tyran est mort ; il est tué à ce moment même… » On ne pourrait expliquer ce fait, s’il est vrai, qu’en admettant qu’Apollonius était dans le secret de la conspiration. Après cela, on ne sait plus rien d’Apollonius, sinon que Nerva lui écrivit, lors de son avénement à l’empire, pour lui demander des conseils, et qu’il reçut de lui une réponse énigmatique, d’où on conclut que bientôt ils se retrouveraient dans un autre monde. On n’a point d’informations certaines sur le temps, le lieu et le genre de sa mort : il est probable cependant qu’il mourut à Éphèse de pure vieillesse, pendant le court règne de Nerva, ou vers l’an 97, à l’âge de 100 ans. Damis avait écrit des mémoires très-détaillés sur son maître. Légué par lui à un de ses parents, son manuscrit devint plus tard la propriété de l’impératrice Julie, femme de Septime-Sévère. Cette princesse le confia à Philostrate, sophiste éloquent, alors en réputation, qu’elle chargea de rédiger la vie du philosophe de Tyanes. Outre ces matériaux, Philostrate mit, à ce qu’il assure, à contribution, deux autres histoires écrites par des contemporains d’Apollonius, ainsi que les traditions qu’il put recueillir en visitant les lieux parcourus ou habités par ce dernier, et en consultant ses lettres. Malgré tous ces secours, son ouvrage est plein de contradictions et de contes merveilleux qui nuisent beaucoup aux vérités auxquelles ils sont mêlés[1]. Cependant son récit fut, environ cent ans après qu’il eut paru, préféré à tous les autres par Hiéroclès, qui, le premier, voulut établir une comparaison entre Jésus-Christ et Apollonius. Eusébe, en réfutant cette attaque contre le christianisme, admet en général le récit de Philostrate, et soutient que, d’après ce récit même, Apollonius ne mérite pas d’être comparé au Messie. L’existence d’Apollonius ne saurait être révoquée en doute, comme on l’a fait. On doit croire qu’il fut un pythagoricien sévère ; qu’il voyagea dans plusieurs contrées, et fut un philosophe parmi les sages, un magicien pour le peuple. Sa célébrité est démontrée par des preuves nombreuses. De son vivant, il fut appelé Dieu, et accepta cette dénomination, en disant que ce titre appartenait a tout homme de bien. (Philostr. liv. 8, c. 5.) Après sa mort, il fut longtemps compté parmi les divinités. Les habitants de Tyanes lui dédièrent un temple ; les Éphésiens lui consacrèrent une statue, sous le titre d’Hercule Alexicacus. Adrien recueillit ses lettres ; Alexandre Sévère le choisit pour l’un de ses patrons, et célèbre en son honneur des cérémonies religieuses dans un oratoire où l’image du philosophe se trouvait avec celles des bons princes qui avaient reçu l’apothéose, et des âmes saintes, parmi lesquelles on voyait figurer celles d’Ahraham, d’orphée, de Jésus-Christ, etc. ; Caracalla lui dédia un temple Aurélien ne saccagea point Tyanes, par respect pour sa mémoire ; Ammien Marcellin place ce philoso-

  1. Quelques altérations qu’ait subies l’histoire d’Apollonius. le caractère et le rôle de ce philosophe n’en éclatent pas moins avec évidence. Dans leur lutte contre le christianisme, les païens l’opposaient à Jésus-Christ, et plaçaient ses miracles au-dessus de ceux du Dieu fait homme. Les premiers Pères eux-mêmes admettaient qu’Apollonius avait opéré des prodiges contraires aux lois de la nature ; seulement ils les attribuaient à la magie et au démon. Plus tard, et à mesure que le triomphe du christianisme devint plus certain, les chrétiens parlèrent avec plus d’impartialité du caractère et des vertus de ce philosophe. « Ce fut, dit St. Jérôme, un sage qui sut profiter partout où il alla, et qui revint de ses longs voyages plus savant et meilleur. » Au 5e siècle. Sidoine Apollinaire, évêque des Gaules, ne se fit pas scrupule d’écrire lui-même la vie de notre pythagoricien. dont il trace ce bel éloge dans une lettre : adressée à un ami à la prière duquel il avait entrepris cet ouvrage « Lisez, écrit-il, la vie d’un homme qui, la religion mise à part, vous ressemble en beaucoup de choses, d’un homme recherché des riches et qui n’a point recherché les richesses, qui aima la science et méprise l’argent ; d’un homme frugal au milieu des festins, habillé de lin parmi les gens vêtus de pourpre. austère au centre de toutes les voluptés ; enfin, pour tout dire en un mot, d’un homme tel que peut-être l’historien chercherait vainement dans tout le passé une vie de philosophe comparable à la sienne. C. W-R