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militaires, sans avoir illustré son nom par d’éclatants services ; mais, dans la guerre de 1756, qui réunit la France, l’Autriche, l’Empire germanique et la Russie, contre Frédéric le Grand, le feld-maréchal Apraxin, a la tête de 40,000 Russes, entra dans le royaume de Prusse, s’empara de la ville de Mémel, et s’avança jusqu’auprès de Jœgersdorf, où il fut attaqué par le général Lewald, l’un des plus illustres lieutenants de Frédéric. Après une action opiniâtre et sanglante, les Russes restèrent maîtres du champ de bataille et d’une partie de l’artillerie prussienne. Cette victoire porta l’alarme jusqu’aux portes de Berlin, et le feld-maréchal Apraxin, s’il eût profité de tous ses avantages, pouvait aisément marcher sur cette capitale sans défense. Elle fut sauvée, cette fois, par la fortune de Frédéric : les Russes, au grand étonnement de leurs alliés et de leurs ennemis, se replièrent tout à coup vers les frontières de la Courlande, et prirent leurs quartiers d’hiver. Une intrigue de cour avait dirige ce mouvement rétrograde, qui étonna l’Europe. L’impératrice Élisabeth paraissait alors attaquée d’une maladie dangereuse, Son neveu, qui lui succéda deux ans après, sous le nom de Pierre III, était admirateur passionné du roi de Prusse, et personne n’ignore combien cet enthousiasme imprudent blessa la vanité de sa nation, lors de son avènement au trône. Le chancelier Bestucheff, qui le crut tout près d’y monter, n’hésita point à sacrifier ses sentiments particuliers et la fidélité qu’il devait a sa souveraine, à la chimérique espérance de conserver sa place et son crédit. Il défendit donc au maréchal Apraxin de profiter de sa victoire, et, peu de temps après, lui donna l’ordre de ramener ses troupes en Courlande. Une nouvelle intrigue changea bientôt la face des affaires, à la cour de Pétersbourg : Bestucheff, privé de tous ses emplois, déclaré coupable de lése-majesté, condamné à perdre la tête sur un échafaud, fut exilé dans un village, par la clémence d’Élisabeth. Le maréchal Apraxin, arrêté à la tête de son armée victorieuse, fut envoyé prisonnier à Narva, et soumis à un conseil de guerre, qui n’osa le condamner ni l’absoudre ; et, des ce moment, il cessa de jouer un rôle dans les événements historiques dont la Russie fut le théâtre. On ignore l’époque de sa mort. E-d.


APRÈS DE MANNEVILLETTE (Jean-Baptiste-Nicolas-Denis d’) naquit au Havre, le 11 février 1707. Son nom n’est peut-être pas aussi généralement connu qu’il devrait l’être, mais il est très-répandu parmi les navigateurs, qui le regardent comme le premier hydrographe. Son père, Jean-Baptiste-Claude d’Après de Blangy, capitaine des vaisseaux de la compagnie des Indes, lui donna une éducation très-soignée, et prit soin de la surveiller lui-même. Il l’amena avec lui dans l’Inde à l’âge de douze ans, sur un vaisseau qu’il commandait ; a son retour, il l’envoya à Paris, afin qu’il s’y perfectionnât dans la géométrie et l’astronomie, dont il lui avait enseigné les premiers éléments. Ce ne fut qu’en 1726 que d’Après de Mannevillette fit sa première campagne en qualité d’officier, sur un vaisseau de la compagnie des Indes ; et c’est alors qu’il manifesta les talents qui, depuis, l’ont placé au nombre des navigateurs les plus distingués et des plus habiles hydrographes. Le vaisseau le Maréchal d’Estrées, sur lequel il était embarqué, échoua sur les écueils du nord de St-Domingue, et, si l’on avait suivi la route que d’Après, alors âgé de dix-neuf ans, avait conseillé de tenir, on eût évité sa perte. Il avait également fait preuve dans cette même campagne d’un esprit mûr et fertile en expédients ; mais cette fois on avait déféré a son avis, et on lui dut le salut du Maréchal d’Estrées, qui, pendant le terrible ouragan du 20 septembre 1727, avait perdu, prés de la Martinique, tous ses mats, et était sur le point de couler bas par une voie d’eau. D’Après est un des premiers Français qui aient fait usage des instruments d’astronomie a réflexion ou à miroir inventés par Hadley ; il rectifia, en allant en Chine, avec un octant, la latitude de plusieurs points qui avait été déterminée avec des instruments bien inférieurs à celui-ci. Frappé de ce nouveau moyen de perfectionner l’hydrographie, il se sentit animé d’un nouveau zèle, et forma le projet de corriger toutes les cartes de l’Inde on d’en faire de nouvelles. Du moins, ce fut pendant la campagne où il fit pour la première fois usage de cet instrument que, n’étant encore que simple officier, il commença a recueillir les cartes, les plans et les différents mémoires qu’il put se procurer sur la navigation des côtes d’Afrique, de l’Inde et de la Chine. Depuis l’année 1735, il travailla a exécuter ce projet, et, en 1742, il annonça aux directeurs de la compagnie qu’il avait construit un assez grand nombre de cartes pour en former une collection. Son travail fut soumis à l’académie des sciences, qui l’approuva. D’Après employa encore trois années à perfectionner son ouvrage. En 1743, il fut nommé correspondant de l’académie des sciences, et ce ne fut qu’en 1745 qu’il publia ses cartes, sous le nom de Neptune oriental. Il y joignit une instruction nautique, dans laquelle il donna la description de toutes les côtes, les divers aspects sous lesquels elles se présentent, vues de différents côtés, ainsi que les vents régnants et les courants qui ont lieu dans tous les parages pendant les diverses saisons de l’année ; en un mot, il n’y a rien omis de ce qui peut faire connaître les routes que les vaisseaux doivent tenir. Le Neptune oriental, avec les instructions qui l’accompagnent, est le premier grand ouvrage de ce genre, le plus complet et le plus parfait qui ait paru. Il fut accueilli avec empressement par les navigateurs de toutes les nations. Plus de soixante ans d’expérience ont justifié l’opinion que l’on en avait d’abord conçue. D’Après a travaillé pendant trente ans à ajouter de nouvelles perfections à ce bel et important ouvrage ; la seconde et dernière édition ne parut qu’en 1775, in-fol. atl., considérablement augmentée et corrigée. À sa mort, on trouva encore dans ses papiers plusieurs cartes achevées et des mémoires qui ont été publiés dans un volume sépare, sous le titre de Supplément au Neptune oriental. La partie la plus estimée de cet ouvrage est celle qui comprend les côtes de Malabar et de Coromandel, le golfe du Bengale, les détroits