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historiques, accompagnée de remarques pleines d’érudition.

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JUIGNÉ (Antoine-Éléonore-Léon Leclerc), archevêque de Paris, naquit à Paris en 1728. Il descendait d’une ancienne famille du Maine. À peine il avait six ans, lorsqu’il perdit le marquis de Juigné son père, colonel du régiment d’Orléans, tué en 1734, à la bataille de Guastalla. Il fit ses humanités et sa philosophie au collége de Navarre, et entra au séminaire de St-Nicolas du Chardonnet, d’où il ne sortit que pour s’agréger à la société des théologiens de Navarre, où il fit son cours de licence et prit ses degrés. M. de Bezons, évêque de Carcassonne, qui était son parent, le prit pour son grand-vicaire : il eut bientôt à courir une autre carrière ; il fut nommé agent du clergé en 1760. À l’agence était attaché le soin de tous les intérêts et de toutes les affaires ecclésiastiques. Cette gestion durait cinq ans, mais cessait, si, pendant son cours, l’agent était nommé à un évêché. Elle ne faisait que commencer pour l’abbé de Juigné, lorsqu’on lui proposa l’évêché de Comminges ; il s’excusa et préféra de continuer ses honorables travaux. Nommé, en 1764, à l’évêché comté-pairie de Châlons, on ne lui permit pas un second refus. À son arrivée dans son diocèse, il y trouva des difficultés occasionnées par l’ascendant que le jansénisme y avait pris sous son prédécesseur : il se crut obligé d’interdire et même d’expulser quelques prêtres dyscoles. Ensuite il ne s’occupa plus que du bien qu’il avait à faire. Il reconstruisit son grand séminaire, et en établit un petit, destiné à élever gratuitement ceux des enfants de la campagne qui annonçaient des dispositions pour les études et de la vocation pour l’état ecclésiastique. Il connaissait tous les ecclésiastiques de son diocèse, les recevait avec bienveillance, était toujours prêt à les écouter, et à entrer avec eux dans les moindres détails sur ce qui concernait le bien des paroisses, le salut des ames, et les secours à porter où il en était besoin. Ses aumônes l’ont immortalisé dans le diocèse de Châlons, et sa mémoire y sera longtemps bénie. En 1776, le ciel en feu, au milieu de la nuit, annonce un incendie violent. C’était à St-Dizier, ville distante de Châlons de douze ou quatorze lieues, que l’incendie s’était déclaré. L’évêque, sans savoir précisément l’endroit, se porte avec célérité vers le point qui paraissait attaqué. Il trouve St-Dizier presque réduit en cendres. Dans l’espoir de sauver quelques victimes, il se précipite au milieu des flammes avec si peu de précaution qu’on l’y crut étouffé. La nouvelle en arriva jusqu’à Châlons, et y causa une consternation qui ne cessa qu’à son retour. Ces accidents, beaucoup trop fréquents en Champagne, déterminèrent le charitable prélat à établir un bureau de secours pour ceux qui les éprouveraient. M. de Beaumont, archevêque de Paris, étant mort en 1781, de Juigné, du propre mouvement du roi, et malgré

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un grand nombre de compétiteurs, fut appelé à lui succéder. Persuadé qu’une augmentation considérable de revenus n’était pas, dans l’esprit des canons, un motif pour changer de siége, il avait refusé l’archevêché d’Auch, l’un des plus riches du royaume. Toujours dans les mêmes sentiments, il ne céda qu’aux ordres positifs et réitérés du roi, qui voyait dans son choix l’intéret de la religion. De Juigné porta dans son nouveau diocèse le même esprit, les mêmes principes d’après lesquels il avait gouverné celui de Châlons : même prudence, même modération, même douceur, même attention à maintenir la paix, à tâcher de l’entretenir entre le sacerdoce et la magistrature ; même zèle pour la discipline ecclésiastique et la saine doctrine ; même munificence envers les pauvres : son immense revenu s’employait en aumônes, en bonnes œuvres, en établissements pieux. Quelque considérable que fût ce revenu, il ne put suffire aux besoins du rigoureux hiver de 1788 à 1789. Le prélat y suppléa en vendant sa vaisselle, en engageant son patrimoine, et en faisant de gros emprunts, pour la garantie desquels le marquis de Juigné, son frère ainé, s’obligea jusqu’à la somme de cent mille écus. On touchait à la convocation des états généraux : M. l’archevêque de Paris y fut élu député, comme ses deux frères, et siégea, dans ces assemblées orageuses, avec la minorité fidèle à Dieu et au roi. Personne n’ignore ce que produisit cette noble et courageuse résistance. Le 24 juin 1789, comme il sortait de l’assemblée à Versailles, sa voiture fut assaillie et poursuivie à coups de pierres, par ce même peuple que, peu de mois auparavant, il avait arraché aux horreurs de la faim. Il n’échappa qu’avec peine à ces mains parricides. Il se trouvait à la fameuse séance du 4 août : sa belle âme, toujours prête à croire le bien comme à le faire, lui suggéra d’y proposer de chanter un Te Deum pour un rapprochement qui n’était que simulé, et l’avant-coureur des plus affreux désordres. Ne doutant plus alors que tout ne fût perdu, il obtint du roi la permission de se retirer. D’abord il chercha un asile à Chambéry[1], et passa ensuite à Constance, où il fut joint par plusieurs évêques ses collègues, et par un grand nombre de prêtres fidèles, obligés de quitter le sol natal. La Providence le destinait à les y recueillir et à les secourir : il les aida d’abord de sa bourse, de la vente du peu d’effets précieux qui lui restaient, même de sa chapelle, puis des dons qu’il avait sollicités de l’impératrice douairière de Russie, et des princes et grands prélats

  1. Ce fut pendant son séjour en Savoie, où il fut accueilli avec la plus franche hospitalité par le marquis de Clermont Mont-Saint-Jean, à la famille duquel il s’honorait d’être uni par les liens du sang, qu’assisté de trois archevêques et de quatre évêques français aussi émigrés, il fit, le 24 mai 1792, la bénédiction de la chapelle du château de la Bâtie d’Albanais, que M. de Mont-Saint-Jean faisait bâtir dans l’antique terre de ses ancêtres, inféodée à sa famille en 1310. Le procès-verbal de cette bénédiction solennelle a été inscrit dans les registres de la paroisse.